Gaumont Vidéo : entretien avec l’éditeur

Gaumont a une position particulière en France puisque contrairement à la plupart des éditeurs français, il est à la fois propriétaire d’un vaste catalogue ET éditeur vidéo de ces films, à la manière d’un studio américain ou, pour rester en France, de Pathé. Sa branche vidéo officie de longue date sur le secteur, puisqu’au-delà de son historique à l’époque du DVD, le 1er Blu-ray Gaumont remonte à 2007 !

A partir de 2010, son activité HD de patrimoine s’est structurée avec le lancement de la collection Gaumont Classiques, qu’ont intégrée des films comme Le silence de la mer (Jean-Pierre Melville), Les maudits (René Clément) ou Les yeux sans visage (Georges Franju), complétée en 2014 par la collection « blanche » Gaumont Découverte, pendant Blu-ray de la collection « rouge » paraissant en DVD et toutes deux vendues à prix doux. En 2022, la collection Gaumont Classiques a atteint plus de 150 titres, la blanche plus de 250 tandis que la collection rouge vient de fêter sa 500ème référence active avec La malle aux trésors, compilation de 14 courts-métrages (réalisés par Vigo, Guitry, Audiard, Molinaro et d’autres) répartis sur 2 DVDs.

Afin de mieux comprendre l’activité passée et présente de l’éditeur, nous avons posé (en deux temps) nos questions à Sylvain Perret et Maxime Gruman, respectivement Chargé d’édition et Directeur vidéo & VOD chez Gaumont.

Vous êtes un certain mastodonte de l’édition vidéo, mais aussi et surtout un poids lourd côté patrimoine. Qu’est-ce qui a changé dans votre travail ces dernières années ? A quelles évolutions avez-vous du faire face et comment les avez-vous approchées ?

Sylvain Perret : Je suis arrivé il y a bientôt six ans chez Gaumont Vidéo en tant que chargé d’édition, avec des collections patrimoniales clairement identifiées (Gaumont Classiques, Gaumont Découverte DVD – dite « collection rouge » et proposant des films à partir du meilleur matériel disponible – et Gaumont Découverte Blu-ray – dite « collection blanche ») donc l’évolution est moindre. Je peux dire que nous continuons à garder notre volonté de rendre le catalogue de Gaumont le plus accessible possible, tant par le prix que par le travail éditorial.

Quelle est la taille de l’équipe pour un projet typique d’édition vidéo (par exemple, sur Les félins ou sur Lancelot du Lac) ? Comment se déroule un projet d’édition : retrouver les éléments, commissionner la restauration, etc ? A combien de mois se situe votre visibilité sur votre planning ?

SP : Pour la restauration, il y a une équipe dédiée, avec à sa tête Jean-Marc Zedde, qui s’occupe de retrouver les éléments et les restaurer. Dans le cas de la collection rouge, c’est Hélène Duffaud qui cherche le matériel via les stocks, les cinémathèques, etc., et vérifie tout ça.

Nous avons une certaine visibilité sur les films restaurés. Disons que 90% des titres de l’année à être édités en Gaumont Classiques ou Gaumont Découverte Blu-ray est décidé entre juin et septembre pour l’année suivante. Pour la collection rouge, nous travaillons sur 3 à 6 mois d’avance.

MG : Il y a les facteurs techniques, que nous organisons avec Hélène qui s’occupe de rechercher les sources, et ceux vus avec l’équipe juridique, que nous essayons de ne solliciter que lorsqu’on sait que des éléments physiques sont disponibles. Nous n’allons pas les faire travailler si nous ne sommes pas sûrs ensuite de pouvoir exploiter techniquement les films. Ils ont déjà du travail toute l’année à renouveler les droits de films plus récents, que nous continuons d’exploiter et qui ont plus de valeur commerciale pour le catalogue. Ce sont des films qui ont souvent été signés pour 20 ou 30 ans, donc en 2022, ce sont des films des années 90s.

SP : C’est comme dans Le magnifique : le plombier passe et dit qu’il faut que l’électricien passe avant, puis l’électricien passe et dit qu’il faut que le plombier passe avant ! C’est un équilibre à trouver pour ne pas harceler chaque service, et il est clair que Gaumont aura plus d’enjeux commerciaux à renouveler Les visiteurs que Hardi les gars.

MG : Il n’empêche que cela reste notre but, et même notre devoir moral, de faire en sorte que les œuvres de notre catalogue soient exploitées et visibles par le plus grand nombre. En France, il y a la Recherche d’exploitation suivie qui est une obligation de moyens, donc quand on est détenteur de droits, on doit faire nos meilleurs efforts pour rendre les œuvres accessibles au public.

Comment choisissez-vous les titres que vous allez chasser en termes de droits d’exploitation vidéo ? Par exemple, pourquoi privilégier, disons, Malle plutôt que Godard en termes de sorties Blu-ray (la restauration 2K d’Une femme mariée a mis presque dix ans à sortir en Blu-ray en France, Sauve qui peut la vie n’est toujours pas sorti alors qu’il existe un Blu-ray américain depuis 2015, …) ?

SP : Si la restauration existe, une édition d’un film se joue à plusieurs facteurs. Premièrement, et c’est le plus important, il y a nos envies éditoriales. Le catalogue est très vaste, et nous découvrons des choses régulièrement. Par exemple, quand j’ai découvert pendant le confinement dans la collection rouge Le Pays bleu de Jean-Charles Tacchella, ça a été un choc, et vu qu’il était restauré, il a été mis en tête de notre liste de candidats pour cette année (et il est effectivement sorti en Blu-ray).

Ensuite, nous regardons à avoir un éclectisme, pour que les collections restent cohérentes et variées. Il y a quelques années, j’ai été heureux de pouvoir travailler sur le Diabolique Docteur Z de Jess Franco, mais il était logique de sortir simultanément son Cartes sur table, lui aussi écrit par Jean-Claude Carrière.

Ça a été la même chose pour les deux Jean-Luc Godard, qui étaient restaurés mais qui n’étaient pas édités chez nous en Blu-ray. Lorsque l’idée de sortir Week-end a été avancée, nous avons profité pour proposer Une femme mariée, que j’aime énormément, mais qui n’est pas un film évident et qui, je pense, a pu potentiellement bénéficier de plus de visibilité en le proposant simultanément avec un autre film du cinéaste. Par ailleurs, nous essayons de mettre des films de tout genre et de toute époque, afin de proposer des éditions aussi éclectiques que possible.

Et puis, nous suivons ce qui est réclamé ici ou là. Ces dernières années, ce furent les trois films de Jean-Marie Poiré ou aussi La Soif de l’or, qui reviennent depuis quelques années.

MG : Nous avons entamé dès 2008 notre premier programme de restauration (filière HD) pour 150 films (dont 50 en 2K de l’époque, les balbutiements…) et dès 2012 nous avons lancé la filière 2K sur 270 films (dont 50 en 4K), et des opportunités commerciales pour 25 films (2K et 4K). Sur nos fonds propres ce sont 445 films auxquels il faut ajouter les « aidés » par le CNC (46 longs-métrages) ce qui donne 491 œuvres en haute définition antérieure à l’an 2000. Soit un taux d’aide légèrement inférieur à 10% mais parce que nous avons réalisé 270 restaurations dans le cadre du programme Grand Emprunt, programme que que nous devons à la volonté politique de l’ancien président du CNC Éric Garandeau et du chef de l’État de l’époque Nicolas Sarkozy. Actuellement, certains de nos films sont restaurés et disponibles en vidéo, mais uniquement en DVD alors que nous avons du matériel restauré. C’est donc un peu une chance de pouvoir piocher dans ces restaurations pour les sortir en Blu-ray malgré des sorties précédentes, par exemple dans la collection rouge.

SP : J’ai par exemple revu récemment Horace 62, d’André Versini et avec Charles Aznavour et Raymond Pellegrin, que je l’ai trouvé vraiment sympa avec son côté polar typique des années 60, et on va peut-être le sortir en 2023 en Blu-ray comme il est déjà restauré.

MG : Reste que l’économie du Blu-ray n’est pas celle du DVD. Il y a donc parfois des choix à faire car tous les films n’ont pas forcément le potentiel commercial suffisant en Blu-ray. Cela explique que certains titres soient certes restaurés mais que nous décidions de ne les sortir qu’en DVD dans la collection rouge, ce qui est plus économique pour le consommateur comme pour nous. Un authoring Blu-ray coûte plus cher qu’un équivalent DVD, auquel il faut ajouter le coût de production des bonus que nous incluons sur nos Blu-rays.

SP : Nous pourrions faire un Blu-ray de Paris secret, mais rien que faire scanner le négatif original de ce mondo, faire une petite restauration et le sortir en DVD m’a pris cinq ans ! Ce serait du suicide d’en faire un Blu-ray, mais l’important reste que le film soit vu. Après, si quelqu’un d’autre veut l’éditer en France ou ailleurs, le film est disponible restauré.

MG : Nous avons aussi de temps en temps des ayants-droit proposant des catalogues de films, ils font ce qui ressemble presque à des appels d’offres et vont vendre leur catalogue au plus offrant.

SP : Par exemple, nous venons de rentrer États d’âme, de Jacques Fansten, qui date de 1986 et a un casting de fou : Robin Renucci, François Cluzet, Jean-Pierre Bacri, sur un groupe d’amis euphoriques à l’arrivée de Mitterand au pouvoir, et dont on va suivre les désillusions pendant plusieurs années, avec un ton très triste à la Claude Sautet. Nous avons dans notre catalogue un autre film de Jacques Fansten, Le Petit Marcel, qui est restauré et que nous allons sortir l’année prochaine, et nous venons d’interviewer le réalisateur autour de ces deux films. Même si nous en avons un sur DVD uniquement donc sans bonus, ça a un intérêt de l’interroger sur les deux films. J’aimerais bien qu’États d’âme soit restauré, je ne peux pas croire que nous n’arrivions pas à vendre un film avec un casting pareil. Le casting est souvent l’argument principal pour les chaînes TV et les festivals, et il y aura probablement prochainement un hommage à Jean-Pierre Bacri quelque part. Un film comme celui-ci ferait un très bon film d’ouverture ou de clôture.

Face à la fragilité du marché physique, certains comme Wild Side se sont orientés vers des éditions premium (BR + DVD + livre épais), tandis que les éditeurs UK comme Arrow et BFI se sont engouffrés dans les éditions aux tirages limités afin de stimuler les ventes dès la sortie (voire dès la précommande). Ce n’est pas le cas de Gaumont (hormis quelques exceptions comme Les Tontons flingueurs et les coffrets DVD du 120e anniversaire). A l’opposé, Gaumont a choisi d’aller plutôt vers une optique de bas prix visant à stimuler les volumes de vente. Est-ce une stratégie qui paie aujourd’hui ? Comment choisissez-vous d’inclure tel film dans une collection plutôt que l’autre ? D’un point de vue technique et éditorial, certains films auraient parfaitement pu être inclus dans l’autre collection que cela n’aurait pas choqué (Lancelot du Lac, par exemple).

SP : J’ai de plus en plus de mal avec le principe d’éditions que l’on limite. Il y a une course à l’écoulement, qui donne presque le sentiment qu’il faut se débarrasser d’une édition avant sa disparition. Résultat : elle ne s’adresse qu’à une poignée de vidéophages fortunés. C’est triste, je trouve, de se dire que tel ou tel titre souvent assez pointu, n’aura une visibilité que de quelques mois, voire semaines. Tu cites Arrow, mais les éditeurs anglais proposent souvent deux tirages : le premier, en édition très limitée et relativement onéreuse, et un second, avec un packaging plus simple, moins luxueux, sans livret ni goodies, mais plus accessible. Je pense que nos trois collections citées sont au bon tarif. J’aime à penser que ça permet de susciter plus facilement la curiosité.

Quant au choix de certains films dans telle ou telle collection, il s’agit d’un choix totalement subjectif. Certes, quand on a Un singe en hiver ou Les Félins, la question ne se pose pas. Lancelot du lac aurait très bien pu intégrer la collection Classiques, mais c’est un choix personnel et subjectif de l’équipe, et pour tout dire un test afin de permettre au film d’être découvert plus largement.

MG : Nous sommes détenteurs des droits de ces films, donc nous sommes censés exploiter ces œuvres de façon continue. Nous ne voulons pas nous arrêter à sortir un tirage limité qui s’épuise en quelques mois et voilà. Notre catalogue a 1 600 références actives pour 1 300 films, et notre catalogue est principalement constitué de nos collections qu’on re-presse constamment pour faire durer la disponibilité. La collection rouge a commencé en 2010, et les titres parus en 2010 sont toujours disponibles. Certains ont évidemment moins de volume que d’autres, et il y a certains titres dont nous pouvons ne vendre que 30 ou 50 exemplaires par an, mais quand le stock tombe à zéro, nous re-pressons ces titres et continuons de les rendre disponibles. Nous avons perdu les droits de quatre films (par exemple Conseil de famille de Costa-Gavras, qui est parti chez Arte), mais quand nous avons fêté la 500ème sortie de la collection rouge, ce sont bien 500 références actives encore présentes dans le catalogue.

Quelle est votre approche au niveau des bonus ? Comment choisissez-vous quel type de bonus produire (plutôt rétrospectif, plutôt analytique) ainsi que leur quantité (tel film avec beaucoup de bonus, tel autre avec presque rien) ? Comment les concevez-vous de manière pratique ? Je suppose que tout ceci a un coût (financier et humain) de conception. Quelle part du budget d’un projet cela représente-il ?

SP : Pour les bonus, tout dépend de la collection, qui fait évoluer le nombre d’intervenants. Pour la collection blanche (Gaumont Découverte Blu-ray), nous n’avons qu’un seul intervenant, donc nous essayons de chercher le meilleur intervenant possible. Si le film est suffisamment récent, nous cherchons un réalisateur, un assistant ou quelqu’un ayant suivi de près le tournage. Dans le cas de Journal d’une femme en blanc, nous avons retrouvé la trace de Robert Benoît, un des acteurs du film, que nous sommes allés interviewer en Picardie. Il y a quelques années, pour Piège pour Cendrillon de Cayatte (l’un de mes préférés de sa filmographie avec Œil pour œil), Dany Carrel, interprète principale, voulait bien être interviewée mais pas filmée. Nous avons donc réalisé un entretien audio, que nous avons habillé ensuite d’extraits du film.

Sinon, nous cherchons un spécialiste, qui aurait travaillé sur le film, ou qui saurait éclairer. J’avoue que nous faisons tout pour multiplier les intervenants, afin de proposer plusieurs approches d’une édition à l’autre, mais c’est parfois compliqué. La problématique est celle-là : allons-nous chercher quelqu’un d’autre, qui ne connaîtra pas forcément autant son sujet, ou bien faisons-nous appel au même intervenant, comme par exemple Jean Ollé-Laprune ou Didier Griselain (un fidèle) ?

Pour la collection Gaumont Classiques, c’est la même approche mais nous avons davantage d’intervenants. Dans ce cas, l’idéal est d’avoir à la fois un regard rétrospectif et un autre analytique. Je suis assez fier de mes éditions de deux films de Henri Verneuil : Mille milliards de dollars et I… comme Icare, avec à chaque fois quelqu’un qui a vécu la production (Didier Decoin, scénariste, et Patrick Malakian, stagiaire sur le film), et un second plus analytique (Jean-Baptiste Thoret sur l’un, Enguerrand Guépy, auteur de Un fauve, sur l’autre), à quoi s’ajoutent sur le Blu-ray des axes plus inattendus avec une analyse de l’expérience de Milgram pour I… comme Icare et un économiste qui décortique Mille milliards de Dollars.

Autre point : nous essayons au maximum de proposer des bonus complets mais en n’étirant pas la longueur inutilement. Si nous n’avons que 12 minutes intéressantes, aucun problème. Pas la peine d’étirer jusqu’à 25 ou 30 minutes si ce n’est que du remplissage. Le collectionneur que je suis est ravi d’avoir commandé son édition anglaise Arrow Video de Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia, avec son Blu-ray supplémentaire proposant 10 heures de suppléments inédits. Je ne l’ai toujours pas lancé, et ce n’est pas faute d’aimer Peckinpah. Il y a quelque chose de l’ordre de la surconsommation qui n’est pas très rationnel. J’aime à penser que nos suppléments ne sont pas juste un argument marketing, mais un vrai accompagnement.

C’est un point essentiel, qui me tient à cœur : une grande partie de mon éducation cinéphilique vient des éditions DVD. J’essaye à mon échelle de transmettre ça, même si c’est, dans l’histoire du cinéma, finalement assez récent que le grand public veuille garder une version, une copie d’un film.

De nombreux films sont édités en Blu-ray en France encodés à la mauvaise vitesse (1080i50, soit 25 ips), ce qui est un souci très franco-français. Gaumont encode systématiquement ses Blu-rays en 1080p24 (sauf films tournés pour du 25 ips). Qu’est-ce que cela implique en termes de gestion de projet ? De budget ?

MG : Cela a un coût, mais qui n’est clairement pas rédhibitoire et que nous assumons. Le pressage et l’authoring sont les éléments coûtant cher de toute manière.

SP : C’estun sujet sur lequel nous sommes très vigilants. Notre édition d’I… comme Icare, un film qui était précédemment sorti en Blu-ray à la mauvaise vitesse, propose bien le film à la bonne vitesse.

Gaumont a édité plusieurs exclusivités que d’autres pays nous envient (comme récemment les nouvelles restaurations de Judex, Tih-Minh et Les bas-fonds). Quelle est la part de l’import dans vos ventes, notamment du fait que vous avez régulièrement l’opportunité de sous-titrer en anglais vos sorties et de ne pas forcer le zonage B ?

Sur les UHDs, pensez-vous que l’absence de zonage est la conséquence d’une consommation des éditions vidéo définitivement entérinée par l’industrie comme locale (les Français achètent en France, les Américains aux USA, etc…, donc peu importe le zonage) ? Pensez-vous que cette absence de zonage puisse être un frein au passage à l’UHD pour certains éditeurs, du fait du changement que cela peut avoir sur les dispositions contractuelles que le zonage permettait, ou soit au contraire une opportunité ouvrant le champ à plus de ventes à l’export ?

SP : Il faut savoir que en effet, nos Blu-ray ne sont pas zonés, et par ailleurs nos éditions Gaumont Classiques possèdent très souvent des sous-titres anglais, en plus des sous-titres systématiques pour sourds et malentendants. Mais en vérité, je crois que l’export ne concerne qu’une part infime de nos ventes. Ça n’est pas réellement chiffrable, car via des plateformes comme Amazon, nous n’avons pas de vraie traçabilité. Cependant, je le redis, je pense que c’est plutôt minime dans nos ventes.

Pour l’UHD, nous avons plusieurs problématiques qui reviennent, mais celle du zonage ne nous pose à vrai dire pas trop de soucis.

D’ailleurs, Gaumont n’a édité en UHD que Les Tontons flingueurs, en 2017, alors que votre catalogue et votre activité de restaurations 4K laissent penser que plusieurs titres supplémentaires se prêteraient à des sorties sur ce support. Est-il prévu chez Gaumont de revoir sa position sur ce support et y éditer de nouveaux titres, ou faut-il estimer que c’est globalement hautement improbable de voir d’autres UHDs Gaumont ? La question revient régulièrement, notamment, à propos de titres paraissant très porteurs comme Le Cinquième élément, Léon ou Le Grand bleu (les deux premiers étant sortis dans d’excellents UHDs chez Sony).

SP : Pour ce support, qui nous intéresse mais pour lequel nous n’avons effectivement que Les Tontons flingueurs de sorti, nous voulons faire les choses bien, donc nous préférons chercher le bon film. Mais on le fera et le sujet revient très régulièrement.

Ayant votre catalogue à vous, plusieurs intervenants de par le monde (Masters of Cinema et Criterion, notamment) licencient les droits d’exploitation vidéo de certains titres de votre catalogue, notamment de vos nouvelles restaurations. Comment cela se passe-t’il en pratique ?

SP : Nous discutons régulièrement ensemble, notamment pour savoir ce que préparent les étrangers, et voir si ça ne pourrait pas faire remonter des idées. Nous avons fait un supplément pour une édition prochaine en amont, car un éditeur japonais a décidé de sortir le film un peu plus tôt par exemple.

Par ailleurs, je n’hésite pas à suggérer des éditeurs qui seraient susceptibles de s’intéresser à certains films de notre catalogue. Powerhouse par exemple, qui s’est lancé il y a peu dans des éditions de titres non-anglo-saxons, pourrait faire quelque chose d’assez incroyable s’il faisait à la manière de ses coffrets Hammer ou Columbia des anthologies Gaumont noir ou Continental Films.

Dans certains cas, cela peut déclencher une restauration. Nous avons un budget annuel pour les restaurations de films, et il va ensuite se répartir entre ce que je peux suggérer pour une exploitation vidéo en France, les demandes de ventes internationales montrant un potentiel pour tel ou tel film, les demandes pour les ventes TV ou les plateformes… Nous centralisons ensuite ces demandes, faisons le point technique et regardons le coût d’une restauration, demandons les aides du CNC à la numérisation et prenons en fonction la décision de lancer la restauration.

MG : Gaumont a une équipe répartie par région géographique et dont le personnel vend à ses clients les droits de nos films en fonction de leurs demandes. La tendance est de fonctionner pour des contrats de sept ans, et c’est très généralement le même distributeur qui renouvelle les droits pour sept ans. C’est très rare qu’un distributeur achète les droits pour sept ans puis les laisse filer au bout de ces sept ans chez un autre distributeur. Le premier distributeur a en effet déjà fait le travail, a le matériel, etc, donc s’il y trouve son compte, il renouvelle les droits.

Il peut ainsi y avoir des coparticipations aux restaurations, comme sur Brigade des mœurs, sur lequel Mondo Macabro a co-participé à la restauration avec Gaumont et Le chat qui fume, car Mondo Macabro voulaient les droits pour leur territoire et ont mis la main au portefeuille pour participer à la restauration.

Quelle est votre vision du marché physique actuel ? Voyez-vous les doubles sorties DVD / Blu-ray disparaître un jour (lorsque le matériel HD est disponible) ? Quelle est aujourd’hui la principale limite empêchant d’éditer tout en Blu-ray, qu’en Blu-ray, si le matériel le permet ?

SP : Il y a une confusion qui est faite régulièrement en considérant que vidéophile vaut cinéphile. Il ne faut pas oublier que de très nombreux amateurs de cinéma ne sont pas passés au Blu-ray. J’ai reçu récemment une lettre d’une personne n’ayant pas Internet en me demandant si nous avions au catalogue des films avec Tino Rossi en DVD ou VHS ! Le DVD reste le support le plus démocratique, avec certes de nombreuses limites, mais encore très populaire.

Dans de rares cas, certains Blu-rays Gaumont Découverte repartent d’un master HD précédemment créé à l’époque du DVD plutôt que d’une restauration plus récente. C’est le cas par exemple pour Twist again à Moscou, Grosse fatigue ou encore Courage fuyons. Pourquoi ces titres n’ont pas l’objet de nouvelles restaurations, malgré des masters HD certes corrects mais tout de même clairement datés ?

SP : Ce n’est effectivement pas systématique ! Déjà, nous avons refusé de sortir certains titres à partir de restaurations trop anciennes. C’était le cas de La Soif de l’or ou encore Comment réussir… quand on est con et pleurnichard, qui sont ressortis à partir de nouvelles restaurations 4K.

Dans les exemples que tu cites, ce sont des titres qui restent tout de même de bonne qualité, et même si nous aurions aimés des restaurations récentes, il faut bien se dire que celles-ci auraient pris la place d’autres titres qui n’ont jamais été restaurés. A un moment, le mieux est l’ennemi du bien.

MG : Il faut aussi se rendre compte que se dire « Il faut que le film soit restauré pour l’éditer » est un filtre réduisant le champ du possible. Dans le cadre de la collection rouge, les films restaurés ne sont pas forcément ceux marchant le mieux. Les gens vont d’abord vers des œuvres en particulier et la qualité n’est pas un pré-requis pour eux, si tant est évidemment que cela soit regardable et cohérent avec le support proposé.

C’est pour ça que nous ne sortons La Soif de l’or que maintenant : j’ai fait du forcing sur le film (même si mes coups de cœur personnels sont plutôt Opération Corned Beef et Attention une femme peut en cacher une autre), car c’est un titre dont j’étais convaincu du potentiel commercial et de l’attente. Le film aurait pu sortir il y a dix ans, dans une qualité médiocre, mais je ne sais pas si on en aurait vendu beaucoup moins.

SP : Par exemple, Allo Berlin ? Ici Paris, de Julien Duvivier, qui est un film fabuleux et d’une inventivité incroyable, avec tous les jeux de téléphone et de personnes à distance peu de temps après l’arrivée du cinéma parlant. Sauf que l’expertise technique indique que nous n’avons pas de matériel restaurable…

A l’ère de l’internet 3.0, certains éditeurs ont une présence de plus en plus accrue sur les réseaux sociaux (Facebook et Twitter, principalement) mais certains ont aussi une présence directe sur certains forums spécialisés (Arrow et Powerhouse sur blu-ray.com, mais aussi Gaumont justement sur DVD Classik). Ce n’est pourtant pas le cas d’une majorité d’éditeurs. Considérez-vous important d’avoir cette présence-là ? Par quel biais prenez-vous en compte les retours consommateurs qui peuvent y être faits ?

SP : Je reste vidéophile, donc si je m’intéresse aux retours de sites, sur DVDClassik comme ailleurs, que j’ai toujours suivi et que j’estime, ça m’intéresse d’autant plus de savoir comment ils perçoivent notre travail sur nos éditions, sur ce qu’ils attendent, apprécient ou des remarques. Par exemple, on a pu lire qu’un de nos suppléments possédait trop d’extraits. Objectivement, c’était assez juste, donc je fais depuis attention à ce point.

Être éditeur, c’est rendre accessible une œuvre. Quand sort une édition, nous avons travaillé de nombreux mois dessus, entre le choix de l’œuvre, de son accompagnement souhaité, la production concrète des suppléments avec ses impératifs, la création des jaquettes, etc. Ça signifie que lorsque le film arrive sous cellophane, je l’ai vu plusieurs fois.

C’est un travail de passeur, donc savoir que c’est entre de bonnes mains, qu’il y a des relais qui permettent à notre travail de faire des rebonds, tout en pointant les ratés, c’est plutôt bien, et ça encourage à continuer d’être vigilant. Je ne crois pas un seul instant au discours d’éditeurs qui prétendent ne pas s’intéresser aux retours que font la presse ou les forums.

Quelles sont vos meilleures et plus mauvaises ventes ? Comment l’évolution actuelle du marché physique a impacté vos ventes ?

SP : Je sais que la collection rouge est la plus populaire. Par ailleurs, les titres phares de cette collection sont ceux qui se vendent le plus dans la collection blanche. Dans les tops, il y a dans le désordre Ni vu… ni connu, L’Assassin habite… au 21 et Le Franciscain de Bourges.

MG : Le marché physique de patrimoine possède tout de même une certaine résilience et une vraie stabilité. Les films contemporains ont quelque chose de beaucoup plus éphémères que par le passé : le Blu-ray et l’UHD se vendent au lancement, puis on trouve très rapidement le DVD dans les bacs, ce qui défavorise les autres formats, puis ensuite en SVOD. Ce sont ces films qui vont avoir 5-6 ans et qui sont accessibles d’autres manières qu’en support physique, comme typiquement les films de gros studios américains, qu’on ne trouvera plus nulle part ailleurs que sur les plateformes dématérialisées. C’est le contraire pour le patrimoine, car on ne retrouve pas ces films plus anciens sur ces plateformes. Le support physique est ainsi pratiquement la seule manière d’avoir accès à ces œuvres, donc une partie de la population va acheter ces supports.

Des informations que nous avons pu récolter, il semble que la part du Blu-ray (et potentiellement de l’UHD) est plus importante chez les indépendants que la moyenne du marché français dans son ensemble par rapport au DVD. Comment se répartissent actuellement, environ et en moyenne, vos ventes entre ces formats ?

MG : Sur le patrimoine, je ne vais pas parler des films comme Léon ou Le 5ème élément qui continuent de se vendre très bien en Blu-ray mais ne sont pas intégrés en collection de par leur potentiel individuel sans commune mesure (on parle de plusieurs milliers de Blu-rays vendus chaque année pour chacun de ces films, certes dans des offres promotionnelles ou des coffrets, mais quand même), mais uniquement de nos collections. Au sein de ces collections, c’est très disparate en fonction des titres et en fonction des collections. Nous vendons quoiqu’il en soit toujours plus de DVDs que de Blu-rays, même si les mécaniques promotionnelles font qu’on peut les toucher globalement au même prix. Depuis un bon moment maintenant, nous travaillons toutes nos collections par vagues de titres dans le but justement de référencer immédiatement ces nouvelles sorties dans des opérations de types « multi-buy » (par exemple « 3 pour 30€ »), ce qui les place mécaniquement à 10€ pièce, tant en DVD qu’en Blu-ray.

Pour les Gaumont Classiques, les titres sortent simultanément en DVD et en Blu-ray. Or, et presque à chaque fois, le démarrage des ventes est meilleur pour le Blu-ray que le DVD. C’est peut-être du fait de l’attente sur le support d’un film déjà paru précédemment en DVD, comme par exemple pour Le Diable probablement, qui existait déjà en DVD mais pas en Blu-ray. Il y a donc au lancement comme une prime à la nouveauté sur le format. Par contre, sur la durée généralement, les ventes DVD finissent par supplanter celles du Blu-ray sur un titre donné. Si on prend l’historique de la collection Classiques, le top 10 est intégralement trusté par les références DVD, donc il y a encore des clients qui sont peut-être uniquement équipés en DVD ou qui restent sur une meilleure identification du DVD que du Blu-ray. Nous l’avons d’ailleurs encore constaté au Salon du DVD du Festival Lumière 2022 : il y a des gens qui viennent à ce salon en 2022 et ne savent pas ce qu’est un Blu-ray. C’est peut-être certes une clientèle qui est vieillissante, mais qui n’est pas équipée Blu-ray et que nous ne voulons pas priver de ces films en arrêtant le DVD.

Si on prend par exemple Gwendoline, nous en avons vendu environ 700 actuellement, donc d’ici un ou deux ans, nous devrions dépasser le millier de ventes et dépasser les ventes de l’édition du Chat qui fume, qui était tirée à 1 000 exemplaires.

Dans le cadre de nos films post-2000s (et donc hors de nos collections), il y a des films qui ont eu des super carrières en salles, suivies parfois de bonnes carrières en vidéo, mais ils sont aujourd’hui un peu tombés dans l’oubli, ne repassent plus à la TV, et le résultat est que nous ne vendons quasi plus un seul Blu-ray de ces films, tandis que nous continuons de vendre un petit peu de DVDs. Et c’est en plus moins cher de re-presser du DVD que du Blu-ray : rien que sur le volume de pressage : la taille minimale de pressage de DVDs est de 300 exemplaires, contre 500 pour des Blu-rays. Quand on multiplie ces calculs sur 500 références, et qu’on intègre la gestion de la place, du stockage, le coût de stockage, ce n’est pas une différence anodine.

Par contre, nous sommes contents d’avoir une très belle profondeur du catalogue, nous n’avons pas ce fameux 20-80 où 20% des titres font 80% de notre chiffre d’affaires. Il y a de la rotation, et 100% des titres de nos collections vendent au moins 1 unité par an. Ça peut paraître dérisoire et minuscule, mais ça signifie que tous les films de nos collections trouvent chaque année au moins 1 personne intéressée pour les acheter. Économiquement, ce n’est pas peut-être pas très encourageant, mais c’est notre patrimoine français historique, donc c’est symboliquement important.

Il y a certains détenteurs de très gros catalogues qui, je pense, se concentrent trop sur quelques valeurs fortes que tout le monde connait et qui ont été restaurées et éditées 36 fois, alors qu’ils ont des centaines d’œuvres non exploitées car l’intérêt économique est moindre. C’est d’autant plus dommage pour eux que le marché était bien plus gros économiquement il y a dix ans, c’était donc une période plus porteuse pour aller plus loin.

Cela étant, nous avons la chance que nos gros titres puissent compenser les titres plus petits, et que les aides du CNC soutiennent notre activité. Sans elles, nous devrions arrêter certaines collections. Mais la collection rouge ne touche pas d’aide du CNC (et Les Tontons flingueurs en 4K n’en a pas touché non plus !) et elle est rentable.

SP : Et puis quand nous vendons un film du catalogue Gaumont, nous vendons du Gaumont, avec le logo partout, la charte, etc. L’identité est marquée, même si le catalogue possède ses étrangetés et ses outsiders.

Quel a été votre projet préféré ? Quel est celui que vous rêveriez de faire ? Pourquoi ?

SP : Il y en a plusieurs. Éditorialement, il y a L’Homme du jour de Duvivier, qui est proposé dans ses deux versions, changeant radicalement le ton du film ou encore La Guerre est finie de Resnais. Au niveau des sorties coup de cœur, je suis assez fier d’avoir travaillé sur Un nuage entre les dents de Marco Pico, Le Petit prince a dit de Christine Pascal, Le Fils du requin de Agnès Merlet, Avec le sourire de Maurice Tourneur, l’excellent Judith Therpauve de Chéreau ou encore Le Pays bleu de Jean Charles Tacchella. Nous avons récemment fêté les 500 titres dans la collection rouge un double DVD de courts-métrages, qui a demandé aux équipes techniques un travail de fou, et je pense que c’est une belle édition qui devrait plaire aux curieux.

Dans les souhaits, il y en a plusieurs, mais ça serait bien de travailler sur Œil pour œil d’André Cayatte, Allo berlin ? Ici Paris, qui est un Julien Duvivier extraordinaire et Le Repas des fauves de Christian-Jaque. Mais il y en a tant ! J’ai découvert il y a peu des pépites comme La 1000ème fenêtre de Robert Ménégoz, et c’est assez incroyable, tout comme La Route Napoléon de Jean Delannoy, tous deux avec Pierre Fresnay. Plus loin, je regarde Le Septième ciel de Raymond Bernard, et je pensais découvrir un film mineur, mais c’est fabuleux. Alors je rattrape les films du cinéaste que je ne connaissais pas au catalogue, et je suis à chaque fois agréablement surpris. Il y aurait quelque chose à faire.

Il y a eu, vers 2015-2016, la découverte de toute une vague de pressages provenant de l’usine QOL qui se sont avérés instables dans le temps et devenant illisibles en quelques années seulement. Cela a-t’il eu un impact sur vos ventes (je suppose ici que cet impact a peut-être refroidi certains consommateurs qui ont eu peur de se retrouver dans cinq ans avec de nouveaux disques illisibles) ? Comment gérez-vous à l’heure actuelle ce souci qui continue d’affecter des consommateurs alors qu’il est, industriellement parlant, survenu il y a maintenant de nombreuses années ?

SP : C’est simple : nous avons mis en place un système de remplacement des exemplaires défectueux. Les retours sont assez marginaux aujourd’hui.

Nous remercions chaleureusement Sylvain Perret et Maxime Gruman pour le temps qu’ils nous ont consacré, Sylvain une première fois en mai 2022 puis Sylvain et Maxime le 17 octobre 2022.

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