Comme chaque année depuis 10 ans, le MIFC (Marché International du Film Classique), sorte d’équivalent du marché du film cannois mais dédié aux films de patrimoine, s’est tenu à Lyon en parallèle du Festival Lumière du 18 au 21 octobre 2022. Pour cette 10ème édition, plusieurs évènements spécifiques avec notamment une conférence du 10ème anniversaire et une soirée festive, mais aussi un Grand Témoin particulier puisqu’il s’est agi de Gian Luca Farinelli, directeur de la Cinémathèque de Bologne et habitué de la première heure du festival Lumière et du MIFC. Le pays invité cette année a été l’Espagne, représentée par la Filmoteca Espñola, et mise en avant avec la projection au MIFC de Nueve cartas à Berta (de Basilio Martín Patino) et Arrebato (de Iván Zulueta).
Au-delà de ces spécificités, le MIFC proposait ces rendez-vous traditionnels : une demie-journée consacrée aux line-ups des éditeurs vidéo (Tamasa, Malavida, Studio Canal, ESC, Carlotta, Rimini, Sidonis, Pathé et Gaumont) et une autre aux line-ups des cataloguistes et disitributeurs (ainsi que l’AFCAE et l’ADRC) (Di Factory, Deutsches Filminstitut & Filmmuseum, Studiocanal, Pathé, Gaumont, TF1 Studio, Carlotta Films, Tamasa Distribution, Malavida, Les Acacias, Le Chat qui fume, Karmafilms Distribution et Capricci), le keynote du Grand Témoin, une conversation avec le CNC et des professionnels de la filière, des discussions européennes et internationales sur les filières du patrimoine ainsi que sur des pistes de réflexion pour améliorer la diffusion et la visibilité du cinéma de patrimoine (salles, TV linéaire, TV non linéaire, ciné-clubs, etc), et enfin un échange avec une personnalité des services publics de l’audiovisuel (cette année, Manuel Alduy, directeur du cinéma et des fictions numérique et internationale à France Télévisions).

Une nouveauté (fort bienvenue compte tenu de la marge de progression du secteur en la matière, mais aussi des évènements professionnels en général) : un atelier La fresque du film, calquée sur les travaux de La fresque du climat, visant à la fois à informer les professionnels de l’impact climatique de leurs métiers mais aussi à identifier des pistes de réflexion et d’action pour la limite des ces impacts. Nous ne savons pas s’il s’est agi d’un atelier ponctuel ou si cela s’inscrit dans une action plus structurelle mais nous ne pouvons qu’espérer que le MIFC a prévu d’intégrer cet état d’esprit sur le long terme.
Enfin, à la lisière entre le MIFC et le festival Lumière, le 4ème salon du DVD (qu’il serait temps de renommer officiellement « Salon de la vidéo ») s’est tenu dimanche 16, avec toute la journée des stands de vente tenus par les professionnels eux-mêmes (des habitués comme Artus, L’atelier d’images, Carlotta, ESC Editions, Extralucid Films, Gaumont, Malavida, Pathé, Potemkine, RE:VOIR, Tamasa, La Traverse, UFO Distribution et Wild Side, et des nouveaux participants comme Les Alchimistes, Cultpix et JHR Films) mais aussi une conférence d’1h30 modérée par Hugues Peysson (de L’atelier d’images mais aussi trésorier de l’association L’appel des 85), et avec comme participants Carine Bach (Extralucid Films), Patrick Belz (Arcadès), Vincent Paul-Boncour (Carlotta Films) et Sylvain Perret (Gaumont Vidéo).
Que ce soit durant cette conférence ouverte au public ou du côté uniquement professionnel, le MIFC n’a pas échappé au contexte sociéto-économique actuel touchant le cinéma et la vidéo physique au sens large, à savoir une baisse notable de ses rentrées financières et sa « fréquentation » et, plus globalement, des perturbations dans le secteur, qu’elles soient par exemple liées à la baisse temporaire des nouveautés ayant mécaniquement créé une compensation par le patrimoine (vu sur les audiences des TV linéaires), les batailles autour du non-linéaire (vu durant la discussion avec Manuel Alduy) ou les projets et réflexions des cinémathèques pour attirer le public (vu durant le keynote de Gian Luca Farinelli). Ce qui en ressort, c’est une certaine résilience : si le marché vidéo physique baisse, cela semble principalement provenir des grosses sorties de studios et moins du patrimoine; si le public n’est pas totalement revenu en salles (en France, l’année 2022 devrait tourner à environ 150 millions d’entrées, soit bien mieux que 2021 et ses 95m d’entrées, mais encore environ 30% de moins que le plateau haut de ces 15 dernières années), le patrimoine n’a pas décroché plus que la moyenne nationale; si le secteur doit faire face à des plateformes principales de SVOD peu intéressées par le patrimoine, il arrive à proposer des offres complémentaires (certes plus ou moins réussies).

Pour autant, certaines difficultés, parfois structurelles, font vraiment peine à constater, comme durant cette table ronde sur « l’état des filières du patrimoine dans les pays à « faible capacité de production » », où les archives du film bulgares, hongroises, maltaises, lettonnes, slovènes, slovaques, macédoniennes, lithuaniennes et albanaises se sont relayées pour expliquer leurs difficultés parfois déprimantes d’identifier, préserver et maintenir leurs archives malgré les manques de moyens humains (les Lithuaniens ont environ 1 personne et demie pour gérer 2 500 films, avec en plus un fort besoin de développer les compétences locales à la préservation et à la restauration), de ressources financières (les subventions maltaises sont ultra-priorisées vers la seule production de nouveaux films), de localisation géographiques des éléments (ceux des archives lithuaniennes ont grosso modo été dispersés dans tout le pays suite à la faillite en 2008 du principal studio national) ou de canaux de diffusion (la Macédoine du Nord ne possède que 4 cinémas au total), avec un volontarisme évident mais se confrontant quasi-systématiquement au mur de la réalité, y compris parfois aux obstacles politiques (la préservation du patrimoine albanais contenant son lot de films de propagande, que le pouvoir actuel a du mal à voir comme des documents d’archives à préserver) ou à une mauvaise compréhension des besoins techniques (les pouvoirs bulgares poussent à la numérisation comme seul support d’archives, malgré la pérennité très discutable des supports numériques). La litanie des listes interminables de problèmes remontés et les blocages provoqués dans la disponibilité, la visibilité et parfois ne serait-ce que la sauvegarde de ces films (les archives bulgares possèdent plus de 15 000 films dont 5 000 films étrangers !) a de quoi plonger dans le désespoir…
L’autre grande ligne directrice du MIFC a été, justement, la notion de visibilité et de disponibilité, qui a traversé les réflexions du marché physique et le renouveau des éditions collectors/limitées/ultra premium, l’éditorialisation des salles pour leurs programmations de patrimoine ou, donc, la préservation la plus vaste des films entreposés dans les archives. Dans le cas de l’édition vidéo physique, on sent d’ailleurs la contrainte contradictoire d’un marché où ceux qui veulent « juste voir le film » ont migré vers des canaux de diffusion moins onéreux leur offrant cela et qui, mécaniquement, fait peser plus lourd les amateurs de « beaux objets » premium (ou en tout cas d’éditions offrant plus, voire bien plus, que « juste le film »), et la volonté de conserver un maximum de films accessibles aux bourses les moins aisées (Gaumont notamment ont une politique très volontariste en la matière, que la plateforme Gaumont Classiques complète justement). Dans une société où, justement, l’accès est devenu un enjeu crucial (accès géographique, accès économique, accès technique), plusieurs questions se posent donc quant aux pistes disponibles pour (r)amener le public vers le patrimoine, que ce soit chez soi ou en salles.
À ce sujet, le keynote de Gian Luca Farinelli et les évènements de Bologne autour du patrimoine sont plusieurs fois revenus sur cette thématique : avec les ressorties de la Cinémathèque de Bologne (8 films par an, entre septembre et mai, au public assez stable d’environ 100 000 spectateurs par saison, et aux horaires progressivement ajustés pour se coller au plus proche du public – 16h le week end pour les familles, 22h30 en semaine pour les étudiants, 11h le matin pour les retraités, expériences-tests à l’appui !); avec le travail d’édition (livres et vidéo) de la Cinémathèque; avec le festival Il Cinema Ritrovato, dont le public s’est semble-t’il assez nettement rajeuni « d’un coup, sans qu’on ait véritablement d’explication »; avec le projet de nouveau cinéma Modernissimo, visant à recréer un lieu où « on ne vient pas forcément pour voir tel ou tel film, mais où on vient pour aller au cinéma ». À chaque fois, l’idée est de ne pas seulement proposer des films, mais faire en sorte que le public réponde présent via une pédagogie et/ou une éditorialisation des programmations créant des cohérences d’ensemble, c’est-à-dire moins un travail de rayonnement que d’attraction.

Il est évident que les contraintes du secteur restent contradictoires, et que l’on n’évitera jamais une certaine tendance à l’auto-congratulation, ici sur la qualité technique quasi-irréprochable des éditions vidéo en France alors que les encodages incorrectement en 1080i50 en Blu-ray ou les restaurations 4K finissant en DVD uniquement sont des problèmes tout de même très français, là sur un effort écologique qui se contente en fait de brider la qualité pour brider la bande passante consommée, mais il est indéniable de l’activité foisonnante du secteur, à la fois pour préserver le passé mais aussi tenter de préparer le futur.
A propos du futur, le line-up vidéo a évidemment vu quelques annonces passer (même si comme souvent, les calendriers affichés étaient plutôt à court qu’à moyen terme, et les titres donc déjà connus). On pourra ainsi noter sur 2023 : Arrebato, Remparts d’argile et 4 René Clair (Le million, A nous la liberté, Sous les toits de Paris et 14 juillet) chez Tamasa; une ressortie vidéo après une ressortie salles de Jeanne et le garçon formidable (nouvellement restauré en 4K) chez Malavida; une restauration 4K du Grand Pardon chez ESC (complétée par les sorties de catalogues des majors US dont est coutumier l’éditeur : Ace Ventura 1 & 2, Portés disparus 3, etc); le diptyque Cayatte « Ou la vie conjugale », une édition UHD/BR collector du Samourai fin 2023 ou encore S’en fout la mort et Hôtel de France chez Pathé (Big Guns est toujours prévu mais repoussé sur 2023); et L’homme qui voulait savoir, La cité de la violence et Machine Gun Kelly chez Sidonis.
Quant aux cataloguistes et distributeurs, Studio Canal ont annoncé la reprise du catalogue Mars Films (200 films dont 140 français) et des « temps forts 2023 » comme le 60ème anniversaire du Mépris, le 50ème du Magnifique, mais aussi un travail sur Pleure ô pays bien aimé ou Delicatessen; Pathé ont indiqué travailler sur L’héroïque monsieur Boniface et Boniface somnambule, Les Misérables (version Le Chanois) et L’armoire volante, ainsi qu’une restauration 4K Dolby Atmos d’Astérix et Obélix Mission Cléopatre en cours chez Hiventy selon un flux de travail proche de ce que le labo a fait avec Le pacte des loups; chez TF1 Vidéo : Histoires extraordinaires, A coups de crosse, Julie Pot-de-colle, Madame du Barry, Little Buddha, Sac de noeuds, Diabolo menthe ou encore Le péril jeune et Les hommes préfèrent les grosses – on notera par ailleurs une ressortie à venir de Gandahar, y compris en vidéo (UHD/BR) en 2023; chez Malavida, on note notamment (outre Jeanne et le garçon formidable) un programme pour enfants qui contiendra notamment Le petit hérisson dans la brume de Yuri Norstein; Les Acacias s’occuperont de ressortir Casque d’or, Main basse sur la ville, Cadavre exquis et The Driver: Le Chat qui fume se lancent dans la distribution salles avec pour commencer Pourquoi pas, de Coline Serreau (qui sera suivi de Otalia de Bahia de Marcel Camus et Le cœur fou de Jean-Gabriel Ablicocco); Karmafilms Distribution ressortiront El Camino d’Ana Mariscal et Je veux être femme de Vicente Aranda; et enfin Capricci ressortent Ordet (de Carl Dreyer), avant deux rétrospectives : une consacrée à l’art chez Straub et Huillet, et une autre (en 2024) à Chantal Akerman (qui commencera en 2023 par Jeanne Dielman, 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles).
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