
Il est intéressant que le Festival Lumière, à deux jours d’intervalle, projette les avant-premières d’Armageddon Time de James Gray et The Fabelmans de Steven Spielberg tant les films partagent de points communs tant en termes de projets (les histoires personnelles des jeunesses des réalisateurs) que plus précisément thématiques (relations parentales, antisémitisme aux USA et harcèlement scolaire). Pour autant, si James Gray avait précisé que son film n’est pas vraiment nostalgique, Spielberg choisit un traitement, lui, moins distant, peut-être plus larmoyant aussi, mais dont on pourra difficilement nier l’émotion qu’il peut générer.
Il est intéressant aussi de constater qu’avec cette avant-première dans le cadre du Festival Lumière, certainement pas anodin, c’est une boucle quasi méta qui se referme entre un festival consacré à l’histoire du cinéma et la force intemporelle de ses images et un film rappelant constamment cela en montrant non seulement un protagoniste découvrant (souvent littéralement) le monde à travers les images, mais aussi en expliquant la force de frappe de celles-ci, leur capacité à affecter durablement et profondément les personnes.
Alors bien sûr, on pourra trouver (et on l’a déjà lu) que « seul Spielberg peut faire un film de Spielberg », tautologie presque un peu trop vraie ici tant, en un sens, le réalisateur cristallise une histoire personnelle qui l’avait suffisamment marqué pour qu’il la distille depuis des décennies dans ses films : qu’après des années à tracer en pointillé des figures paternelles et des familles nucléaires, il en fasse le cœur d’un film entier de 2h30 pourra donner l’impression qu’il radote un peu, qu’il nous sort un best of qui ne pouvait de toute manière pas arriver plus tôt, et il est difficile de ne pas penser à la fin de carrière d’un Clint Eastwood dont les films ne sont quasi plus analysés que sous un angle méta du vieux monsieur qui se filme vieillir, tout comme on pourra aussi avoir l’impression de voir dans The Fabelmans une sorte de success story initiatique comme les Américains savent si bien en faire.
Pour autant, ce serait sûrement passer à côté du caractère particulièrement touchant du film, à la fois par ce qu’il conte de l’histoire familiale, avec cette mère de famille incapable d’assumer son attirance pour le meilleur ami de son mari et ce père de famille tellement béat devant sa femme qu’il ne peut voir l’évidence (joli travail aussi de Seth Rogen dans un rôle moins flagrant mais pas évident) et ce Sam Fabelman (ou bien est-ce Fable-man ?) qui tente de naviguer dans tout cela, exorcisant mais aussi figeant ces imperfections et errements à travers autant d’images qu’il doit physiquement processer pour mieux les absorber émotionnellement. La magnifique photo de Kaminski sert par ailleurs de pendant visuel à la nostalgie élégiaque de cette histoire, donnant à la fois une atmosphère parfois proche de la rêverie, mais plongeant aussi le film dans une atmosphère de tombeau au fil de l’accentuation de la crise séparant toujours plus les parents joués par Michelle Williams et Paul Dano.
C’est aussi un film sur le pouvoir des images, révélatrices autant que manipulatrices, tant par ce qu’elles montrent que ce qu’on peut choisir de ne pas montrer. Ce climax estudiantin en est une sorte de parfait best of, avec ce montage glorifiant et humiliant, biaisé tout autant que révélateur profond de vérités que tout le monde n’a pas forcément envie d’assumer pleinement, capable de faire et défaire les mythes (parmi les extraits de films dans le film, il y a d’ailleurs L’homme qui tua Liberty Valance), mais aussi de révéler les regards déjà existants dans les yeux des gens, ces athlètes fascinant déjà autour d’eux, et leur clique de suiveurs que l’on sait déjà être assez pitoyable.
Mais le film est aussi particulièrement perçant pour ce qu’il dit des passions culturelles dévorantes, avec notamment ce discours de Judd Hirsch rappelant que s’abandonner à l’art, c’est aussi, qu’on le veuille ou non, mettre de côté le reste. C’est faire face aux incompréhensions face à un tel investissement personnel dans de l’intangible, dans quelque chose qui, souvent, ne se monétise pas particulièrement (ou mal), où les prétendants sont nombreux mais les élus rares, où la lutte est longue et souvent ingrate. Mais c’est malgré tout, et parfois contre tout, y investir son temps, son esprit, son engagement. Déraisonnablement, mais passionnément.
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