Au sein de chaque éditeur, il y a des personnes, et parmi celles-ci, il y a des freelances, travaillant de projet en projet que ce soit pour produire des bonus, encoder le matériel, ou complètement superviser une édition.
Michael Brooke se trouve dans la dernière catégorie. Après avoir travaillé pendant 9 ans au BFI, il est devenu en 2011 freelance et travaille depuis comme producteur vidéo, c’est-à-dire pour faire simple un responsable de projet, pour des éditeurs comme Arrow Vidéo (dont la branche Arrow Academy est totalement produite par Michael), Masters of Cinema et Second Run. Il est aussi écrivain, en particulier pour le BFI, que ce soit sur leur site web ou leur magazine Sight & Sound.
Afin de mieux comprendre l’ensemble des tâches qu’un producteur freelance gère, nous lui avons demandé quelles étaient ses méthodes de travail. Et comme Michael est plutôt calé côté cinéma d’Europe centrale (notamment tchèque), nous avons aussi pu lui demander quelle était sa vision sur ce cinéma-là et son accessibilité actuelle.
NdR : depuis cet entretien, Michael est toujours indépendant mais ne travaille plus avec Arrow, se concentrant plutôt à la production d’éditions chez Powerhouse pour leur collection Indicator.

Carrière professionnelle
- Michael, pourrais-tu nous présenter ton passé professionnel ?
Après avoir virtuellement vécu une bonne partie de ma jeunesse dans divers cinémas indépendants londoniens, j’ai trouvé un emploi au Everyman Cinema (North London) où j’ai travaillé de 1989 à 1995. Je gérais le cinéma dans la journée mais sélectionnais aussi les films et avais en charge le marketing. Je travaillais occasionnellement aussi pour d’autres cinémas, ainsi que pour des distributeurs indépendants (notamment Electric Pictures). Cela fut très enrichissant, non seulement du point de vue de mon éducation cinématographique (nous diffusions 2-3 films différents chaque jour) mais aussi car cela m’a fait découvrir comment les indépendants fonctionnent dans cette industrie.
Après une tentative malheureuse dans la production de films indépendants juste autour de l’année 2000, j’ai travaillé 9 ans au British Film Institute, où j’ai surtout officié sur leurs projets en ligne (Screenonline, InView, leur chaîne YouTube), avant de démissionner début 2011 pour devenir freelance.
Pendant toute cette période, j’ai écrit intensivement pour de nombreuses publications (régulièrement pour Sight & Sound, mais aussi The Digital Fix (ex- DVD Times), Vertigo, le Journal of Film Preservation, etc.) et ai aussi contribué à plusieurs livres.
Actuellement, j’écris un livre sur Les yeux sans visage de Georges Franju, qui devrait paraître en 2016 (NdR 2021 : le livre n’est pas encore paru).
- Quand as-tu démarré ce travail de production ? Qu’est-ce qui t’y a amené ?
J’ai commencé à critiquer des éditions DVDs de façon régulière à partir de 1999, mais je n’avais aucune ambition d’en créer moi-même ! En 2003 cependant, j’ai reçu un email du BFI, destiné à l’ensemble de son personnel. Cet email parlait notamment de leurs récentes acquisitions, et parmi celles-ci se trouvaient de nombreux courts-métrages de Jan Švankmajer. À l’époque déjà, cela faisait 20 ans que j’étais fan de son travail : j’avais travaillé sur les sorties anglaises de Faust et Conspirators of Pleasure et créé son site web semi-officiel. J’ai donc envoyé un email à Erich Sargeant, qui était à l’époque le responsable des éditions vidéo du BFI, pour lui offrir mes services.

À ma grande surprise, il m’a demandé directement si j’étais intéressé par la production du projet, ce à quoi je lui ai répondu que si j’étais évidemment très flatté, j’étais un complet débutant dans ce domaine. Il m’a expliqué que ce serait en fait plus ou moins le même travail que le développement de contenus numériques multimédias que je faisais déjà, et il avait raison.
Le projet Švankmajer a pris beaucoup plus de temps à finaliser que prévu, car à mi-chemin, Erich a décidé d’y inclure tous les courts-métrages, alors qu’originellement, seuls les 12 plus connus étaient prévus. Il a donc fallu renégocier les contrats, retrouver du matériel décent pour les titres les plus obscurs, etc. Mais Erich était suffisamment content avec mon travail pour me proposer un autre projet en parallèle : une compilation des courts-métrages des frères Quay, et cette compilation n’a pris que 6 mois entre la réunion de travail initiale et la sortie dans les bacs. Au final, c’est donc mon second projet DVD qui est sorti en premier.
Le travail de producteur vidéo
- Est-ce que le rôle d’un producteur vidéo peut être comparé à une sorte de responsable de projet ?
C’est tout à fait ça. Typiquement, l’éditeur va me donner un film, un planning et un budget, et mon travail est de rassembler tous les éléments sélectionnés et/ou créés, les convertir vers des données informatiques et les uploader chez Sony DADC pour une réplication de masse à une date donnée. La façon exacte de faire tout cela est en général ma décision, même s’il m’arrive fréquemment d’avoir des idées controversées, qui déplaisent notamment aux gestionnaires de budget, mais ils ne font que leur travail.
- Quelle est la durée habituelle pour produire une édition ? Est-ce une question de semaines, de mois ?

Cela varie en fonction de la taille du projet. La collection de l’intégrale des courts-métrages de Jan Švankmajer reste mon record à 3 ans et demi de production. Le coffret Camera Obscura : The Walerian Borowczyk Collection a pris 16 mois au sein de Arrow (Daniel Bird et moi avons cherché à intéresser des distributeurs plusieurs années avant le début de ce projet Arrow), mais la vaste majorité des projets s’étendent sur quelques mois, en général 2 à 6 mois. La production la plus rapide que j’ai faite a duré 6 semaines, sur The Killers de Robert Siodmak. J’y reviens plus loin.
- Quelle est ta manière typique de procéder quand tu produis une édition ? Où cherches-tu du matériel ? Qui contactes-tu ?
Cela dépend en définitive de chaque édition.
Parfois, le package m’est quasiment livré sur un plateau. Par exemple, les disques que j’ai produits et qui étaient licenciés auprès de majors via Hollywood Classics sont souvent arrivés avec les bonus créés à l’époque pour les DVDs. J’avais donc dès le départ tout ce qu’il fallait pour composer d’excellentes éditions. En général, j’essaie tout de même d’y ajouter encore quelque chose, même si c’est juste un seul supplément. Sur The Manchurian Candidate, qui est, je pense, le titre qui m’est arrivé de façon la plus exhaustive côté suppléments, j’ai ajouté un documentaire de 30 minutes sur John Frankenheimer.
Le plus souvent cependant, le processus implique de me poser des questions comme « Quels sujets sont déjà couverts ? », « Quels trous nécessitent d’être bouchés ? », « Est-ce que du matériel existe pour boucher ses trous, et si oui, est-ce que j’ai le budget pour les licencier ? », « Si aucun matériel n’existe, ai-je le temps et le budget pour en générer ? ».
Quand le matériel existe, il faut retrouver l’ayant droit et négocier le paiement d’une licence raisonnable. Parfois, c’est très rapide : pour Sweet Smell of Success, j’ai conclu les négociations avec la TV écossaise pour le documentaire sur Alexander Mackendrick en quelques jours seulement. D’autres fois, cela peut prendre des mois : la sortie de Sullivan’s Travels a été retardée parce que nous voulions absolument inclure l’unique long documentaire sur Preston Sturges, mais la seule identification de l’ayant droit européen a été un travail de détective. Enfin, il arrive que cela soit tout simplement inaccessible : le BFI est assis de façon très frustrante sur les rushes d’une interview de Sterling Hayden datant de 1973, très probablement en lien avec The Long Goodbye, mais comme ils n’ont que les éléments originaux plus le son sur une bande magnétique séparée, j’aurais du débourser une fortune rien que pour le faire transférer en vidéo afin de le visionner, et peut-être que le contenu m’aurait été inutile.
Quand il faut créer du matériel, les principales considérations sont financières et logistiques. Je travaille beaucoup sur des films très anciens et dont les réalisateurs ou acteurs sont soit décédés soit indisponibles pour faire des interviews, donc je me dirige en général vers des experts du sujet concerné. Si l’expert en question est basé en Angleterre, je fais généralement le tournage du supplément moi-même afin de limiter son coût. Sinon, j’embauche une personne proche du pays où est la personne. Daniel Bird par exemple est basé à Varsovie et a pris l’avion vers l’Italie pour tourner de superbes suppléments exclusifs pour l’édition de Salvatore Giuliano, et cela inclut ce qui est tristement une des toutes dernières interviews filmées de Francesco Rosi (c’est peut-être même la dernière, je ne crois pas que d’autres aient été tournées ensuite).
James MacCabe a aussi un projet en cours consistant à interviewer des techniciens du cinéma britannique, et il licencie le résultat (souvent fascinant) à divers éditeurs. Nous y avons déniché l’interview de Carlotta Barrow (assistante de décoration) pour The Long Good Friday, qui est mon supplément préféré de cette édition, et j’ai récemment exploité les interviews de James avec la coiffeuse, l’assistant au montage et le caméraman de Zardoz, pour un résultat tout aussi passionnant.
Ces personnes sont rarement interviewées, donc leurs points de vue sont souvent plus rafraichissants que celui d’un réalisateur qui va raconter pour la millième fois les mêmes histoires.

- Les éditeurs pour lesquels tu travailles principalement (notamment Arrow) adorent inclure un maximum de suppléments créés spécifiquement pour l’édition, mais tout cela prend du temps et a un coût. Comment arrives-tu à garder ces aspects au plus bas d’un point de vue pratique ? Voyages-tu beaucoup pour produire ce contenu, rencontrer les intervenants, etc. ?
Si l’intervenant peut être interviewé en Angleterre (cela peut aussi se faire si la personne n’y est que de passage), je fais généralement tout moi-même : l’éclairage, l’enregistrement, le montage, etc. C’est l’un des grands avantages de la technologie moderne : lorsque j’ai filmé mon tout premier supplément (une interview des frères Quay en 2006), j’ai travaillé avec un caméraman, un preneur de son et un monteur, pour un budget total dépassant de loin ce que je paie actuellement pour un supplément.
Beaucoup des suppléments sont filmés à Londres. J’y ai une amie proche qui m’autorise à utiliser son appartement pour cela, et aussi d’anciens collègues du BFI qui m’autorisent à filmer dans leurs auditoriums quand ils ne sont pas utilisés. Mais seul le tournage implique de se déplacer, tout la partie amont est faite par email, téléphone, discussions sur Facebook, etc. Cela permet de m’assurer que tout est préparé pour utiliser le temps de tout le monde aussi efficacement que possible. Il faut aussi que je tienne compte de la langue parlée par l’intervenant dans mon budget, car ajouter des sous-titres a un coût et prend un minimum de 10 jours.
Le budget est toujours un facteur absolument critique : sur mes projets pour Arrow, les sorties Arrow Vidéo qui sortent conjointement en Angleterre et aux USA ont les budgets les plus généreux pour les bonus, tandis que les sorties Arrow Academy qui ne sortent qu’en Angleterre ont les budgets les plus serrés.
De façon à garder les budgets les plus bas possible, j’ai aussi présenté des suppléments moi-même. Ce n’est pas une question d’égo (c’est même plutôt le contraire car le montage et la vérification qualité virent à la torture pour moi !) mais une question purement pratique : maximiser la valeur ajoutée tout en conservant le coût le plus minime possible. Dans ces cas-là, ce n’est pas choisir entre moi ou un autre expert, mais plutôt moi ou personne d’autre (même si je ne présente que des sujets pour lesquels j’ai un historique publié d’expertise dans le domaine). Par exemple, sur mes 2 titres de la Nouvelle Vague tchèque (The Firemen’s Ball et Closely Observed Trains), j’ai eu assez de budget pour licencier des interviews d’archives avec les réalisateurs et payer 2 experts (Peter Hames et David Sorfa) pour créer des interviews exclusives. Cependant, j’utilise tout de même mes connaissances sur ce domaine pour tourner en parallèle 2 suppléments que je présente moi-même en absorbant leurs coûts dans ma commission de producteur. Sur les projets Arrow, cette commission est d’ailleurs limitée d’avance, donc je ne pourrai jamais dépasser le budget alloué dans ce domaine. Je peux être aussi extravagant que possible, mais je sais qu’arrivé un certain point, tout coût additionnel sera payé de ma poche.

Cinéma d’Europe centrale et films de niche
- Tu es reconnu comme un expert sur le cinéma tchèque. Comment est né ton intérêt sur ce cinéma en particulier ?
Ce n’est pas uniquement le cinéma tchèque spécifiquement, mais plutôt un intérêt général pour la culture d’Europe centrale. Très précisément, cela me vient de mon professeur de piano qui m’a montré des œuvres de Béla Bartók quand j’avais environ 9 ans. J’ai passé ma jeunesse immergé dans la musique et la littérature (traduite, évidemment) tchèque et hongroise. Le cinéma est venu peu après : les vastes rétrospectives sur la Nouvelle Vague tchèque à Londres fin 80s/début 90s organisées par Peter Hames y ont beaucoup contribué, tout comme la saison de 10 films diffusés sur la BBC en 1990. Depuis, les choses se sont simplifiées grâce à des éditions DVDs avec sous-titres anglais qui m’ont permis de voir des choses jusqu’à présent hors d’accès.
Depuis plus récemment, je tends à me spécialiser dans le cinéma polonais, surtout grâce à mon implication dans le festival Kinoteka Film Festival qui se tient à Londres chaque année.
- Il y a eu récemment plusieurs éditions médiatisées de productions tchèques, que ce soit par Arrow, Criterion, ou Second Run, et d’autres vont encore arriver. Penses-tu que le cinéma tchèque est devenu suffisamment visible en vidéo ? Quels films ou quels réalisateurs aimerais-tu voir être édités en vidéo ?
La disponibilité des films tchèques en vidéo est généralement assez bonne, notamment si on importe directement les éditions tchèques, mais j’aimerais que beaucoup plus de restaurations soient effectuées. Les restaurations de Marketa Lazarová, The Firemen’s Ball et Closely Observed Trains, conduites par le Czech National Film Archive, sont magnifiques mais cela reste loin derrière ce qui est fait en Pologne en terme de quantité. Il y a une vraie urgence car un grand nombre des réalisateurs et chefs opérateurs tchèques qui ont marqué le cinéma des années 60 sont toujours vivants et disponibles pour superviser ces travaux. Le grand Miroslav Ondříček est décédé récemment, et les autres sont tous septuagénaires ou octogénaires.
- Tu travailles beaucoup pour Arrow, Masters of Cinema et Second Run, 3 éditeurs très actifs dans l’édition en vidéo de films plutôt de niche. Est-ce que tu penses qu’il y a actuellement une tendance permettant à des titres comme L’assassino d’Elio Petri ou les films de Borowczyk d’obtenir une visibilité qu’ils n’avaient pas dans un passé proche, ou bien s’agit-il d’une connaissance publique qui reste superficielle ? Après tout, ces films restent des films de niches, et leurs éditions sont parfois limitées car il serait sinon difficile financièrement de les éditer.

Je pense que ça aide que ces 3 éditeurs aient une identité très forte et une réputation d’avoir plutôt bon goût dans la sélection des films qu’ils éditent. Cela signifie que les gens auront plus de chance de tester des films peu connus comme L’assassino ou les films avant-gardistes de Borowczyk.
Pour autant, il y a et aura toujours un nombre absolument limité de gens prêts à regarder des films d’animation en stop-motion des années 20 ou 30, des films expérimentaux d’animation des années 60 ou des films obscurs avec Marcello Mastroianni, et je dois accepter ça. En 1993, j’ai été impliqué dans la sortie dans les salles britanniques du Roman de Renard, réalisé par Władysław Starewicz. Le film avait reçu les meilleures critiques jamais vues, et pourtant, les salles n’ont jamais été remplies à plus de 50% pendant toute sa carrière en salles.
C’est aussi pour cela qu’avoir passé la 1ere partie de ma carrière à travailler dans un cinéma entièrement financé par ses ventes de tickets est si utile : notre programmation était souvent très risquée, mais nous faisions toujours attention à ce que les films potentiellement générateurs de pertes soient compensés par d’autres qui étaient des succès garantis. Une personne s’est plainte un jour : « Pourquoi diffusez-vous constamment des doubles séances de Diva et 37˚2 le matin ? ». Tout simplement parce qu’ils généraient toujours de grosses audiences et garantissaient donc un revenu minimal, ce qui les rendait très utiles. Par contre, dès que leurs popularités ont commencé à diminuer, nous les avons programmés moins fréquemment.
Projets préférés, bonnes et moins bonnes surprises, livrets en voie de disparition…
- Tu as travaillé sur de nombreux projets, que ce soient les coffrets BFI consacrés aux frères Quay ou à Švankmajer comme le plus récent coffret Camera Obscura consacré à Walerian Borowczyk. Hormis ces projets très documentés, quel a été le projet sur lequel tu as préféré travailler ?
Le projet dont je suis probablement le plus fier est l’édition Arrow de The Killers de Robert Siodmak, ce pour diverses raisons. Ce n’est pas forcément le meilleur disque que j’ai pu produire (d’un point de vue cinématographique comme éditorial, je pense que Sullivan’s Travels remporterait ce titre) mais c’est celui qui a posé le plus grand nombre de challenges, et pourtant, je suis persuadé que le produit fini n’en montre aucun signe.
Le 1er problème est apparu dès le planning : Arrow ont eu besoin de remplir un vide inattendu dans leur planning de sorties, et ont initié ce projet mi-septembre 2014 pour une sortie 2 mois plus tard. En tenant compte du temps de fabrication des produits, cela signifiait un délai de production de seulement 4 semaines, celui que nous avons habituellement pour une édition vide de bonus ! J’ai donc proposé un package avec le film, le livret, la bande-annonce, l’adaptation radio de 1949 et le court-métrage d’Andrei Tarkovsky adapté de la même nouvelle d’Hemingway. Comme Arrow ont paru heureux avec ça, je suis parti dans cette direction.
Pour le design et le livret, je me suis tourné vers Jay Shaw et Sergio Angelini. J’avais déjà travaillé avec les deux et savais qu’ils étaient rapides et fiables. Cependant, même si la vitesse d’exécution était mon exigence principale, ils ont tous deux effectué un superbe travail. D’ailleurs, la jaquette de Jay au style rétro très pulp est peut-être ma préférée parmi toutes celles que j’ai pu demander dans mon travail.
Le 2ème problème fut la négociation des droits pour le court de Tarkovsky, car les ayant droits ont demandé un prix bien plus élevé que celui que je pouvais accepter. Ou du moins : j’aurais accepté de payer ce prix pour un master HD, mais je ne pense pas que cela aurait été raisonnable pour le master SD proposé. Comme je voulais absolument inclure ce court, j’ai mis de côté une grosse partie du budget au cas où les ayant droits changeraient d’avis. Les ayant droits changent parfois d’avis quand ils réalisent que ce tarif-là est mieux que rien du tout !
Cela a créé le 3ème problème : avec ce budget mis de côté pour le court, il ne m’est resté que très peu d’argent pour tout le reste. Les bonus du DVD français édité par Carlotta étaient déjà hors de portée financière (j’aurais en plus dû payer pour la traduction et le sous-titrage), donc j’ai du créer mes propres suppléments non seulement pour vraiment pas cher, mais en plus très rapidement.

J’ai été très chanceux que Frank Krutnik vive à Brighton, tout juste 25 km de chez moi. Il avait déjà écrit un excellent texte pour le livret de l’édition Arrow de Brute Force de Jules Dassin, et était très enthousiaste à l’idée de travailler pour le Blu Ray d’un de ses films préférés. Comme il fait régulièrement des conférences sur le film, il avait en plus déjà le matériel disponible et a pu me fournir environ 1 heure de matériel, dont un commentaire de certaines scènes du film, mais aussi (de façon complètement inespérée) 3 adaptations radio, dont une que je n’aurais jamais pensé réussir à retrouver (l’épisode de Suspense ! auquel les 2 acteurs jouant les tueurs ont participé).
J’ai aussi été chanceux que Film/Literature Quarterly me demande un prix très raisonnable pour la licence d’un de leurs textes sur les différentes adaptations de la nouvelle d’Hemingway. Cela devait originellement finir dans le livret, mais j’ai commencé à faire des essais avec des extraits vidéo et je me suis rendu compte que cela pouvait donner naissance à un excellent supplément vidéo. Comme Arrow avaient en plus édité la version de 1964 de The Killers (dans une édition que j’ai produite aussi), j’ai aussi eu accès des extraits HD de cette version.
J’ai eu besoin de 2 semaines supplémentaires pour tout finaliser car je travaillais aussi sur le gros coffret Vincent Price / Roger Corman (Six Gothic Tales) mais l’édition a pu sortir début décembre, juste à temps pour Noël, et elle a en plus fini largement sous le budget prévu, puisque l’argent mis de côté pour le court de Tarkovsky n’a jamais été dépensé.
- Je suppose que parfois, tout ne se passe pas comme prévu quand tu cherches du matériel ou du contenu pour une édition. Quelles ont été les bonnes et moins bonnes surprises sur tes récents projets ?
Comme je l’ai dit, The Killers a eu sa part de surprises ! La mauvaise a été mon échec dans la sécurisation du court de Tarkovsky, la bonne a été de pouvoir fournir tous les éléments alternatifs en si peu de temps. Heureusement, je n’ai jamais eu à faire face (pour le moment…) à ce que des collègues ont déjà subi : quand tous les bonus prévus ou presque ne peuvent être inclus et qu’il faut alors sortir l’édition quasiment sans bonus. J’ai toujours de la peine pour eux quand ça leur arrive, et je suis sûr que ça m’arrivera un jour, mais pour le moment, je croise les doigts.
- Tu es écrivain toi-même et tu as souvent défendu le contenu apporté par les livrets comme étant aussi important que celui des suppléments présents sur disque. Cependant, les coûts de fabrication de ces livrets sont plus élevés que jamais et des éditeurs comme Arrow et Criterion ont commencé à limiter les coûts liés aux livrets (soit en limitant leurs contenus ou en les limitant au 1er pressage). Quel est ton point de vue sur cette évolution financièrement compréhensible, mais qui fait craindre aux consommateurs que ces éditeurs perdent une partie de ce qui a fait leurs identités.
Comme tu l’as dit, je suis un grand fan des livrets ! D’ailleurs, je viens juste de finaliser celui de Hard To Be A God, et c’est l’un de ceux dont je suis le plus fier. Evidemment, ma vision personnelle des choses est donc qu’il faut continuer d’en inclure indéfiniment ! Mais je comprends aussi les inquiétudes des éditeurs sur ce sujet : les livrets deviennent très chers à fabriquer (notamment ceux de 40 pages que je tends à livrer) tandis que les budgets de production diminuent inexorablement à cause du marché actuel. Le concept d’un livret en édition limitée me paraît cohérent car cela permet de continuer de les produire malgré tout, et cela reste selon moi une meilleure option que de les éliminer complètement. Comme lorsque je gérais ce cinéma il y a 20 ans, j’essaie constamment de combiner idéalisme et pragmatisme, et c’est clairement une situation où cette combinaison est nécessaire.

Nous remercions chaleureusement Michael Brooke pour son amabilité et la disponibilité dont il a fait preuve le 5 août 2015 pour répondre à nos questions.