TF1 Vidéo : entretien avec l’éditeur

Avant tout connu en Blu Ray pour leurs sorties contemporaines et ce depuis 2007-2008 (La môme, Kill Bill, Casino, etc.), TF1 Vidéo s’est aussi lancé de façon plus poussée dans la numérisation / restauration et l’édition Blu Ray de titres de patrimoine. Après 2 films de Philippe de Broca en mai 2013 (L’homme de Rio et Les tribulations d’un Chinois en Chine), c’est près de 20 titres de catalogue qui ont été édités en Blu Ray depuis, avec de nombreuses restaurations en cours ou déjà projetées en salles.

Pour mieux connaître les choix et contraintes de l’éditeur, nous avons pu poser nos questions à Nils Hoffet directeur d’exploitation et Pierre Olivier directeur marketing et communication chez TF1 Video et TF1 DA.

NdR : ces entretiens ont été effectués en 2015. Depuis, l’activité d’édition vidéo de TF1 Vidéo s’est particulièrement ralentie, et si TF1 Droits Audiovisuels ont une forte activité de préservation de leur catalogue, les éditions vidéo sont maintenant de plus en plus souvent effectuées via des partenariats avec d’autres éditeurs, notamment Coin de mire, Tamasa et Le chat qui fume. Les nuits de Cabiria, par exemple, est finalement sorti en mai 2021 chez Tamasa. La collection Héritage, discutée à l’époque et lancée fin 2015, s’est finalement arretée fin 2018 avec Les camarades, pour un total de 13 titres. L’éditeur a cependant édité lui-même et en UHD Cinema Paradiso, en novembre 2021.

Bilan, organisation et identité éditoriale

Bilan : vous avez commencé ces dernières années à éditer de façons récurrentes des films de patrimoine en Blu Ray. Qu’est-ce qui a changé ces dernières années pour vous inciter à vous lancer ?

Nils Hoffet (NH) : Il y a une volonté éditoriale d’offrir ces films de patrimoine en Blu Ray (toutes les nouveautés étant de toute façon éditées en Blu Ray). Il peut notamment y avoir des films précédemment ignorés, et c’est l’occasion de les apporter au public dans une qualité restaurée apportant un plus par rapport aux éditions précédentes. Après, il y a les difficultés du marché qu’on connait, et le film de patrimoine en Blu Ray est clairement difficile à distribuer. Techniquement parlant, en amont, ce sont les restaurations des films qui déterminent le tout, et si celles-ci ont pu changer par rapport à il y a 10 ans, ce n’est pas vraiment le cas si on prend les 5 dernières années. L’ensemble des films est généralement restauré en 2K ou plus, là où on faisait de la simple « HD » il y a 10 ans.

Pierre Olivier (PO) : La question du patrimoine en vidéo est complexe et il y a eu de multiples évolutions. Nous avons laissé mûrir le marché : quand le Blu Ray a démarré, les ventes étaient concentrées sur des films récents à grand spectacle (beaucoup de science-fiction notamment). Le marché s’est ensuite élargi, sans pour autant être très grand (35% d’équipement des foyers là où le DVD a eu une pointe à 80%). Cela reste donc un marché spécialisé, de niche. Ensuite, il y a eu les restaurations permises via un plan d’encouragement à la numérisation et restauration des œuvres de patrimoine qui a donné envie à certains acteurs de la profession de s’y mettre. Cela permet de diffuser au public des œuvres de patrimoine dans une bonne qualité. Les ressorties salles de films de répertoire ne sont jamais très spectaculaires en termes de public touché, le marché vidéo permet de compléter ces ressorties.

Il y a eu aussi de belles surprises côté ventes, preuve qu’il y a un marché pour ces films. Chez TF1, nous avons vendu plus de 3 000 exemplaires de Metropolis en Blu Ray par exemple et nous étions très contents. Chez nos collègues, c’est Les croix de bois chez Pathé qui nous a impressionnés avec quand même plus de 8 000 exemplaires vendus. Quand on compile tout cela et qu’on y ajoute les aides du CNC, cela ne rend forcément pas toujours un projet profitable mais nous voyons un signal qu’on peut monter ces projets sans perdre d’argent. Je ne pense pas que les éditeurs français aient en tête de folles perspectives de profit, mais déjà au moins de proposer les œuvres de la meilleure façon possible sans prendre des risques financiers injustifiables.

La VOD avance très lentement et le marché physique recule alors que les exigences des consommateurs ont augmenté. Cela donne un marché physique très compliqué, y compris pour convaincre en interne car on peut avoir l’impression que c’est passer beaucoup trop de temps pour ce que ça rapporte. C’est la même chose pour les points de vente, qui ont souvent le réflexe de tabler avant tout sur les grosses sorties.

Dans le cas de TF1 Vidéo, si nous n’avons pas encore une légitimité sur le patrimoine aussi forte que Pathé ou Gaumont, nous avons la volonté d’occuper ce segment, quand bien même nous sommes dans un marché qui recule globalement.

  • Projet : Quelle est la taille de l’équipe pour un projet typique d’édition vidéo (par exemple, sur Le cavaleur) ?

NH : La taille de l’équipe est assez difficile à définir précisément car il y a plusieurs étapes. Dans tous les cas, il y a une personne en charge de piloter la restauration depuis les travaux photochimiques jusqu’à la restauration numérique. Il y a aussi une personne en charge de la recherche éditoriale, toujours dans le cadre de la restauration, et qui va aller à la recherche des photos et vérifier les droits sur celles-ci, ou à défaut va refaire des photos à partir du film. Ces 2 personnes sont en amont du projet et ne sont pas chez TF1 Video à proprement parler. Dans mon périmètre technique, j’ai aussi une personne chargée de mettre en conformité l’ensemble des éléments ainsi que Candice Debout qui est dédiée à l’authoring (arborescence des disques, création graphique des menus et encodage).

PO : Gilles Sebbah est arrivé en début d’année (2015) comme responsable du patrimoine (gestion de catalogue, opérations commerciales, valorisation du catalogue, etc.). Nous avons aussi des intervenants extérieurs sur certains projets car cela peut être très lourd à piloter, notamment dans la clarification des droits ou la constitution des bonus. Il faut savoir parfois reconnaître que nous n’avons pas le temps nécessaire à l’investigation éditoriale et s’entourer de professionnels passionnés.

  • Comment se déroule un projet d’édition : retrouver les éléments, commissionner la restauration, etc. ?

NH : La restauration est en général l’élément préalable qui va donner le tempo, à moins d’avoir un film déjà restauré il y a un ou deux ans, auquel cas le Blu Ray apparaîtra de façon très décalée. Généralement, nous sommes plutôt alignés : la restauration se fait et l’édition Blu Ray est calée juste derrière. Il y a aussi des cas particuliers liés à des ressorties salles, où la sortie Blu Ray sera plutôt calée sur la ressortie.

Ce qui déclenche la restauration, ce sont des critères différents et indépendants des enjeux de l’édition vidéo. C’est plutôt dans le cadre d’une restauration qu’on va penser à préparer une édition vidéo, jamais le contraire, à moins d’un film évènementiel. Par exemple, il y a eu la projection de la nouvelle restauration de Rocco et ses frères à Cannes Classics (et le film est ressorti en salles ensuite), mais les ressorties salles ne représentent que 1 à 3 films par an. Pour le coup, Rocco et ses frères ne sortira d’ailleurs pas en simultané en vidéo, mais de façon décalée.

  • Quels sont le budget et la durée typiques d’un projet de restauration et d’édition Blu Ray ? À combien de mois se situe votre visibilité sur votre planning ?

NH : Le budget reste assez aléatoire, mais une restauration reste de toute manière difficile à faire à moins de 40 000 €. Evidemment, ça peut aller beaucoup loin : La tulipe noire, tourné en 65mm, nécessite un budget 4 fois supérieur pour une restauration et un étalonnage 4K, sans compter le travail sonore du fait des 6 pistes audio natives.

En terme de durée, il faut aller chercher les éléments, renouveler les droites d’auteur, etc., donc on est au minimum à 6 mois en comptant ces étapes préalables. Les travaux de restauration peuvent être contenus en 3 mois. Après, évidemment, certains projets plus difficiles sont bien plus longs, notamment si le matériel original s’avère problématique. Cela nous amène à une visibilité globale à 1 an. Il y a par contre des films que nous anticipons et prévoyons de longue date, par exemple pour une date anniversaire. Dans notre cas, nous avons un certain nombre de films de Clouzot qui doivent être finis pour 2017, donc nous avons planifié cela à l’avance et commencé dès 2015 pour être sûrs d’être dans les temps.

  • Quelle est la part des aides versées par le CNC dans ces budgets ?

NH : L’apport du CNC est inversement proportionnel au potentiel commercial du film. À TF1, nous faisons environ une douzaine de restaurations par an minimum, et nous n’en proposons qu’entre 3 et 5 au CNC, pas plus. Généralement, nous proposons les films les plus fragiles commercialement et une partie conséquente de ces projets sont alors aidés. Par contre, le CNC a 2 formes d’apports : une avance remboursable et une subvention, et ça peut évidemment être un mélange des deux. Tout n’est donc pas acquis définitivement.

PO : De mémoire, le CNC ne participe jamais au-delà de 30% du total des frais d’édition d’un projet. C’est variable d’un projet à un autre, la limite basse étant de ne pas avoir d’aide du tout.

  • Quelles ont été les bonnes et mauvaises surprises les années passées ?

NH : Tout est possible, mais nous avons en général un inventaire des éléments disponibles et pouvons donc toujours anticiper certaines difficultés. Au final, on ne peut avoir que des mauvaises surprises ! Donc on finit par anticiper le problème et on l’a comme prévu, ça n’arrive jamais d’anticiper un problème et que celui-ci n’ait pas lieu. Par exemple, si on sait qu’une bobine a 40 mètres très abîmés, on peut déjà prévoir cela dans le planning et le budget du projet. Par contre, ce qui est très satisfaisant, c’est quand on a ces 40 mètres très abîmés, que l’on fait des recherches via la FIAF (la Fédération Internationale des Archives du Film) et qu’on trouve à l’autre bout du monde une cinémathèque qui peut nous envoyer des éléments d’où on peut récupérer les plans abîmés dans une meilleure qualité.

  • Catalogue : Comment choisissez-vous les titres que vous allez éditer en vidéo ?

NH : Une grande proportion des classiques provient simplement du catalogue TF1 DA (4e catalogue français en termes de nombres de films en son sein), il n’y a que très peu d’acquisitions. Après, il y a quelques arrangements pour des coffrets, par exemple les De Broca.

PO : Nous choisissons des titres plutôt porteurs du fait du recul actuel du marché physique. Nous priorisons donc des films aux carrières historiques fortes que ce soit en salles comme à la TV. Sur les De Broca, nous nous sommes, par exemple, demandé s’il fallait faire des Blu Rays de Tendre Poulet et On a volé la cuisse de Jupiter et au final, nous en vendons autant que du Blu Rays du Bossu ! Les chiffres, sans être énormes, restent cohérents avec ce marché très pointu qu’est la réédition de films de patrimoine. Et puis, si on parle de passion, je dois avouer que travailler sur des classiques est un plaisir pour nous. Nous y passons d’ailleurs probablement un peu plus de temps que leurs stricts potentiels commerciaux ne le justifient !  

Enfin, il y a quelque chose qui semble sous-exploité en France, c’est le financement participatif. C’est un système qui parait intéressant, et il y a quelques projets qui ont pu être financés avec ce système récemment, comme les restaurations de films de Jacques Demy ou le récent projet de Potemkine pour proposer 3 films de Nicolas Roeg. Ça veut dire que le Blu Ray n’est pas mort ou ringard, qu’on peut mobiliser des gens autour de projets passionnants. Alors, il y a de la fierté à participer à ces projets-là, pouvoir dire « j’y ai contribué ».

  • Identité du produit : Face à la fragilité du marché physique actuelle, certains comme Wild Side s’orientent vers des éditions premium (BR + DVD + livre épais), tandis que les éditeurs UK comme Arrow et BFI s’engouffrent dans les éditions limitées afin de stimuler les ventes dès la sortie (voire dès la précommande). Ce n’est pas le cas en France, y compris pour TF1. Est-ce une orientation produit qui vous parait intéressante et valorisante au niveau du retour sur ventes ?

PO : Il n’est absolument pas prévu pour nous de rester sur nos positions plus d’un an, nous passons régulièrement en revue différentes possibilités. L’idée de la rareté me parait très intéressante : les gens achètent de plus en plus vite, les ventes sont de plus en plus concentrées sur les 2 1eres semaines. Ce sont des acheteurs informés, qui savent ce qu’ils achètent, donc pourquoi ne pas leur proposer quelque chose d’un peu gourmand ? Cependant, cela implique de renoncer à un amortissement financier à long terme et à des recettes futures, il y a donc un choix à faire. TF1 Vidéo n’a pas de projet dans ce sens aujourd’hui mais c’est un modèle que nous évoquons fréquemment.

  • De nombreux éditeurs (notamment anglo-saxons) ont fait le pari de l’inclusion systématique d’un livret. Là aussi, ce n’est pas le cas en France, y compris pour TF1. Pourquoi ce choix ?

PO : En terme de manière de consommer du contenu, le livret est intéressant et cela semble ressembler beaucoup aux gens qui nous achètent des titres de patrimoine : ils aiment lire, se renseigner sur les films qu’ils achètent et regardent, ont une certaine soif de connaissance. Les livrets sont une bonne manière de compléter les suppléments audiovisuels et de mettre en scène une belle iconographie : une belle photo est mieux retranscrite sur papier que dans une galerie photo sur disque. C’est aussi un format qu’on peut séparer du disque : on peut l’emmener avec soi, le lire où on veut même dans son lit avant de s’endormir ! Nous ne pensons pas aller jusqu’au livre mais nous avons dans les cartons une collection pilotée par Gilles Sebbah et appelée Héritage, qui sera notre collection de chefs-d’œuvre, et qui contiendra des livrets. On y trouvera à la fin de cette année Le carrosse d’or (de Renoir) et Panique (de Duvivier), l’année prochaine je l’espère Les nuits de Cabiria et Rocco et ses frères. Ce sont nos chefs-d’œuvre et nous voulons leur donner un écrin à la hauteur de leur renommée. La pagination des livrets devrait tourner autour de 16 à 24 pages.

  • Bonus : Quelle est votre approche au niveau des bonus ? Comment choisissez-vous quel type de bonus produire (plutôt rétrospectif, plutôt analytique) ainsi que leur quantité (tel film avec beaucoup de bonus, tel autre avec presque rien) ? Comment les concevez-vous de manière pratique ? Je suppose que tout ceci a un coût (financier et humain) de conception. Quelle part du budget projet cela représente-t-il ?

NH : D’un point de vue catalogue, nous cherchons toujours dans les archives des prises non utilisées, des scènes coupées, etc. Cela prend toujours du temps, mais faire ces recherches font partie de la magie du métier et on retrouve parfois de vrais bijoux.

PO : Un produit de catalogue chez nous ne sort jamais nu chez nous. Chez TF1 Vidéo, nous sommes surtout orientés vers l’explication de la genèse d’une oeuvre : pas forcément beaucoup d’analyses ou d’exégèses, même si nous donnons carte blanche aux personnes produisant nos suppléments. Après, que ce soit un bonus de 26 minutes, 52 minutes ou 2h, un livret, pas de livret, ça dépend du projet et du contenu à raconter. S’il y a de quoi remplir un documentaire de 2h passionnant, alors nous proposerons un documentaire de 2h. Cela permet de rassembler tous les éléments dans un langage simple et dans un supplément qui se regarde comme un programme complet, et dont on sort avec tous les éléments de connaissance qu’on pourrait rechercher.

La part des bonus dans le budget d’un projet, sachant qu’on ne compte pas les frais de restauration du film (ce sont TF1 DA qui assument ces coûts importants), peut monter jusqu’à un tiers voire la moitié du budget. Nous n’hésitons pas à aller acheter à l’INA des éléments vidéo, audio ou des photos. Nous ne voulons pas passer à côté de quelque chose, et travaillons comme si c’était la dernière fois que nous montons un documentaire sur le film concerné, même si ce ne sera pas forcément le cas. Nous travaillons avec des documentaristes-réalisateurs très talentueux comme par exemple Pierre-Henri Gibert ou Jérôme Wybon qui eux-mêmes adorent investiguer et creuser nos sujets et qui reviennent bien souvent les mains plus remplies que ce qu’on espérait au départ !

Choix techniques et zonage

  • Choix techniques : De nombreux films sont édités en Blu Ray en France encodés à la mauvaise vitesse (1080i50, soit 25 ips), ce qui est un souci très franco-français. TF1 encode systématiquement depuis plusieurs années ses Blu Rays en 1080p24 (ce qui n’était pas le cas dans le passé). Qu’est-ce que cela implique en termes de gestion de projet ? De budget ?

NH : Il y a eu effectivement un changement un peu du jour au lendemain chez TF1 Vidéo, où on encodait fréquemment, dans le passé, nos Blu Rays en 1080i50. Ce changement s’est fait quand j’ai commencé à opérer chez TF1 Vidéo en 2010. Je viens du cinéma, et 25 images par seconde, c’est la cadence du format vidéo, pas celle du cinéma. L’apport du Blu Ray, c’est aussi ce respect de la vitesse cinéma et c’est déterminant pour moi de respecter cela. Ce respect a effectivement un impact pour nous car nous avons au final 2 projets différents avec 2 cadences différentes : le Blu Ray et la salle d’un côté, et le DVD / TV / VOD d’un autre. C’est un vrai choix éditorial qui a un coût, certes pas énorme mais non négligeable. Ceci est vrai d’ailleurs pour tout film, qu’il soit de patrimoine ou non. 

  • Contrats et positionnement mondial : TF1 a édité quelques exclusivités que d’autres pays nous envient (notamment les De Broca, évidemment). Quelle est la part de l’import dans vos ventes, notamment du fait que vous avez l’opportunité de sous-titrer en anglais vos sorties et que ne pas forcer le zonage B ? Quelle est votre vision sur le zonage lorsqu’il vous est imposé, tout comme les sous-titres forcés ? De nombreux consommateurs n’arrivent pas à comprendre pourquoi existe encore cet ultra-cloisonnement du marché.

NH : Le zonage est une nécessité commerciale et même contractuelle. Le support physique peut être exporté, et TF1 DA possédant souvent les droits mondiaux des films distribués, on ne peut pas faire concurrence sur les autres territoires où les films peuvent être vendus, y compris au sein d’une même zone (c’est là où les sous-titres forcés peuvent être une solution). Ce serait se tirer une balle dans le pied que de faire une édition Zone Free avec sous-titres amovibles, même si ça peut se faire sur des cas très précis. Mais par exemple, on ne peut pas laisser le champ libre à un éditeur anglais sans risquer de voir son équivalent américain débarquer et nous demander pourquoi les Anglais ont fait une édition facilement exportable d’un produit TF1 Video.

Prenons Criterion aux USA, à qui TF1 Video vend beaucoup de films : le zonage leur est imposé car sinon, ils pourraient facilement écouler leurs éditions à l’étranger et cela n’est pas commercialement tenable. Et si on prend le cas de Classe tous risques chez BFI, qui est une édition Zone B sans sous-titres forcés, c’est une édition qui pourrait être problématique. Après, il faut aussi avouer que le marché de la vidéo n’est plus celui qu’il était il y a 10 ans. Certains enjeux qui pouvaient être prenants à l’époque ne le sont plus forcément aujourd’hui.

PO : Notre vision est contractuelle. Si le contrat que nous avons sur l’exploitation de l’œuvre nous impose de zoner ou d’imposer les sous-titres, alors nous le faisons. Les contrats sont négociés en amont, et ils nous arrivent signés et nous n’avons aucune marge de manœuvre. Après, les marchandises circulent librement et personne ne peut rien faire contre cela. Je sais que le consommateur est parfois navré de cela, et à titre personnel je suis plutôt frustré par les zonages, mais c’est comme ça. Pour autant, ce n’est pas anticoncurrentiel dans le sens où le marché des droits est structuré autour de ce cloisonnement : la gestion des licences, de leur durée, etc., tout tourne autour de cela. La concurrence se fait à ce niveau.

  • Amicalement vôtre : il y a eu un raté sur le coffret Blu Ray TF1 d’Amicalement vôtre. Un nombre non négligeable d’épisodes étaient présentés dans une qualité moindre, visiblement parce qu’à un moment dans le flux, la résolution de travail est descendue à 720p. Cependant, il n’y a pas eu de rappel ni de programme de remplacement, malgré les retours négatifs de nombreux consommateurs, que ce soit sur les forums spécialisés (DVD Classik par exemple) comme sur la page produit Amazon. À l’époque, j’avais personnellement posé la question au service consommateur TF1 Vidéo qui avait nié le problème, expliquant s’être servi des restaurations Network et n’avoir donc rien à se reprocher. Pourtant, depuis, TF1 a effectué un repressage discret, corrigeant à la fois ce problème de qualité visuelle mais aussi de nombreuses fautes de frappe et de maquette sur les jaquettes, et uniquement indiqué par la présence d’une pastille bleue collée à l’arrière du coffret. Pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est passé ? Pourquoi TF1 n’a-t’il pas mis en place un simple programme d’échange une fois les nouveaux disques disponibles ? Cela aurait été vu comme un signe de bonne volonté, au lieu de ce repressage discret qui frustre les acheteurs des premières semaines qui, depuis le temps, n’ont peut-être plus le ticket de caisse à portée de main et ne savent du coup pas comment faire pour obtenir un pressage corrigé. Il aura quand même fallu 1 an pour voir apparaître ce repressage.

NH : Il y a eu un raté : certains épisodes ont été encodés à la mauvaise résolution (720p). La résolution plus faible du 720p n’est pas forcément facilement détectable, ce n’est pas non plus de la SD, mais le problème était bien là. Ça a été une double peine pour nous, car cela part d’un raté chez l’authoreur puis ensuite chez nous d’un point de vue contrôle qualité. Cela reste une combinaison d’éléments : ce raté a eu lieu l’été, pendant une période de remplacement et nous n’avons probablement pas été assez vigilants. Nous avons mis quelques jours à détecter le problème, nous avons refait les éléments et l’authoring dans la foulée et le tout est parti en repressage dans les 2 mois qui ont suivi la détection de l’erreur. Les nouveaux disques ont effectivement mis plus de temps à arriver dans les bacs et la communication n’a peut-être pas été suffisante si le ressenti est que les disques corrigés ont été trop longs à arriver. Quand on fait une erreur comme celle-ci, c’est mieux d’être complètement transparent, d’assumer l’erreur et communiquer sur le fait que nous travaillons à le rectifier. Au final, ce qui a péché a probablement été un manque de communication sur le sujet, couplé au temps qu’il a fallu pour que les disques corrigés soient disponibles dans les bacs.

PO : C’est effectivement un problème qui est très mal tombé et je veux bien admettre que la communication a été loin d’être exemplaire. Il y avait aussi toutes ces fautes de frappe sur la jaquette… Le pire, c’est que nous étions vraiment contents d’éditer Amicalement vôtre en Blu Ray, il y avait le travail de Jérôme sur les bonus et nous visions vraiment à surclasser l’édition anglaise, mais cela a été éclipsé par des bêtises dont nous sommes responsables. Je ne peux que m’excuser auprès du public pour cet ensemble bancal.

Communication, ventes et avenir

  • Médias et consommateurs : À l’ère de l’internet 3.0, certains éditeurs ont une présence de plus en plus accrue sur les réseaux sociaux (Facebook et Twitter, principalement) mais certains ont aussi une présence sur certains forums spécialisés (Arrow et Masters of Cinema sur blu-ray.com, Gaumont sur DVD Classik). Considérez-vous important d’avoir cette présence-là ? Par quel biais prenez-vous en compte les retours consommateurs qui peuvent y être faits ?

NH : Nous sommes à l’écoute de plusieurs types de retours, que ce soit les retours des testeurs, des consommateurs sur Amazon, de la presse professionnelle. Candice, par exemple, est très intéressée par ces retours pour l’authoring et cela arrive que certaines petites choses remontent par la presse alors que nous les avons ratées.

PO : Une partie de notre activité est des éditions plutôt propres de films contemporains, sur lesquelles il n’y a pas forcément de questions particulières ni de message spécifique à faire passer de notre part, donc nous communiquons peu là dessus. Mais je pense qu’effectivement, nous passons moins de temps que d’autres pour parler et échanger. Nous lisons beaucoup ce qui est dit sur nos produits, et nous ressentons beaucoup l’excitation qu’il peut y avoir sur certaines de nos sorties. Peut-être effectivement pourrions-nous nourrir plus ce canal. Ce n’est pas par mépris, mais plutôt parce que nous faisons les choses et passons peu de temps à échanger sur elles, l’artisanat tranquille et discret en somme. Nous répondons sur Facebook et Twitter, mais nous ne sommes pas suffisamment proactifs dans les effets d’annonces ou dans la proximité, la complicité avec les consommateurs. C’est peut-être un de nos points faibles. 

  • Ventes : Quelles sont vos meilleures et plus mauvaises ventes ? Quel est le nombre d’exemplaires typiquement vendus pour un titre de patrimoine TF1, en DVD et en Blu Ray ? Quel est votre objectif typique afin de revenir à l’équilibre budgétaire ? Est-ce souvent atteint ? Comment l’évolution actuelle du marché physique a impacté vos ventes ?

PO : Le Nom de la Rose s’est très bien vendu avec plus de 10 000 Blu Rays écoulés à date.

Nous dimensionnons nos projets Blu Rays de catalogue pour vendre 1 500 à 2 000 Blu Rays sur 2 ans. C’est un objectif dont je doute que nous atteignons souvent, ou alors très lentement, plutôt sur 3 ans. C’est cela qui rend compliqué les projets car il faut mobiliser les gens autour de projets peu vendeurs sur le papier. Cependant, c’est aussi le retour des journalistes et du public qui nous intéresse. C’est aussi cela qui permet à un éditeur d’exister même quand les ventes ne sont pas là : un rayonnement, un sens du geste qui permettent de construire l’image d’éditeur au-delà du simple chiffre de ventes. C’est important pour nous, c’est une façon de démontrer que nous avons notre place sur ce marché.

Côté évolution du marché, le marché des produits physiques est mis en concurrence avec beaucoup de choses, notamment les exigences du public. Il y a 10 ans, certaines éditions à moitié bien faites pouvaient passer mais c’est inacceptable aujourd’hui. Cela nous oblige à trier nos projets et une fois ce tri effectué à exécuter parfaitement l’édition. Un bluff technique, de nos jours, ça ne fait pas un pli : il y a les forums, les testeurs comme vous, les réseaux sociaux, l’édition se fait flinguer en 2 jours et on peut remballer. Le marché devrait faire son ménage car les gens qui achètent ne peuvent plus être pris pour des gens qui achètent les yeux fermés. Il faut sortir correctement les choses ou ne pas le faire du tout, ou alors en digital parce qu’on considère que ce n’est pas le même achat. Ce n’est pas l’implication, la collection ou la volonté de revoir régulièrement l’oeuvre, le degré d’exigence n’est donc pas le même.

  • Passion et envie : Quel a été votre projet préféré ? Quel est celui que vous rêveriez de faire ? Pourquoi ?

NH : Le carrosse d’or de Jean Renoir est un film tourné en Italie en 1954 après son retour des États-Unis, que nous avons restauré et ressorti en salles il y a 2 ans et que nous devrions sortir en Blu Ray à la fin d’année. Le film est finalement assez méconnu, assez mal aimé du public alors qu’il suffit de lire ce que Truffaut en disait (il a appelé sa société de production Les films du carrosse en hommage au film), et c’était un film techniquement passionnant à traiter. C’était un négatif Technicolor trichrome, donc 3 négatifs à traiter et à recomposer pour reconstituer l’image et rester fidèle à la fabrication des copies de l’époque, et c’était passionnant.

  • Impact QOL ? : Il y a eu récemment toute une vague de pressages provenant de l’usine QOL qui se sont avérés instables dans le temps. Cela a-t’il eu un impact sur vos ventes (je suppose ici que cet impact a peut-être refroidi certains consommateurs qui ont eu peur de se retrouver dans 5 ans avec de nouveaux disques illisibles) ?

NH : Nous avons du réagir car c’était un problème important et qui n’était pas rassurant pour le marché, car le support physique est censé avoir a priori une certaine pérennité, donc ça a été un peu un coup de couteau dans le contrat. Au final, c’est une résine qui a été déficiente pendant quelques mois, et cela parait suffisamment isolé et identifié pour ne pas se reproduire. Mais d’un autre côté, si c’est arrivé une fois, ça peut très bien se reproduire à nouveau…

PO : C’est impossible à dire, mais je ne pense pas qu’il y ait eu d’impact sur les ventes. Les gens qui achètent des Blu Rays aujourd’hui, ce n’est pas ça qui les arrête. En termes de gestion, nous avons très réactifs auprès du presseur, et cela a été géré de façon responsable et lucide. Nous avons été en cela bien relayés par les forums. Mais il y a eu des titres compliqués à échanger car ils n’existent plus, comme Pirates de Polanski. D’ailleurs, si vous avez un exemplaire de ce Blu Ray, gardez-le précieusement…

  • Ce questionnaire ne serait évidemment pas complet sans la question à 1 million : pouvez-vous nous communiquer quelques indices sur les futures sorties de 2015- 2016 ? Nous attendons évidemment depuis longtemps maintenant des éditions de Garde à vue et Rocco et ses frères, par exemple.

PO : Il y aura Hôtel du Nord, Tirez sur le pianiste, Domicile conjugal et Baisers volés le 4 novembre.

Il y a aussi la collection Héritage dont nous avons parlé plus haut, avec 2 premières sorties : Le carrosse d’or et Panique le 2 décembre 2015. Nous sommes partis pour 2 années de patrimoine très intéressantes. Nous allons nourrir la collection Héritage avec Les nuits de Cabiria et Rocco et ses frères. Nous espérons sortir ces 2 titres en février ou en mars 2016. Nous avons aussi pensé à Garde à vue et Mortelle randonnée.

La tulipe noire devrait aussi sortir début 2016. Nous voulions sortir le Blu Ray fin 2015 mais préférons avoir un peu plus de temps pour finaliser l’édition. Nous n’avons pas totalement renoncé à interviewer Alain Delon mais cela parait fort compromis. C’est dommage car c’est vraiment une performance de sa part qui est notable. En tout cas, le film est magnifique et la restauration incroyable.

Le travail éditorial 2016 contiendra un boulot très conséquent sur Pedro Almodovar. Le matériel a fait des allers-retours pour obtenir les masters que nous voulions, nous l’annonçons depuis 2 ans, mais cette fois-ci, c’est la bonne ! Il y aura aussi une session d’enregistrement à Madrid bientôt donc nous allons avoir des choses que le monde entier nous enviera. Nous allons aussi amorcer un travail de restauration puis d’édition Blu Ray sur Henri-Georges Clouzot qui sera extrêmement gourmand et très excitant. Nous allons éditer des films qui n’ont pas été vus dans de bonnes conditions depuis très longtemps. Je pense notamment aux Espions qui n’est je crois même pas disponible en DVD. Ce travail trouvera son aboutissement en 2017, avec aussi un gros travail sur les bonus. En terme de développement de produits et gestion de projets, Almodovar et Clouzot seront nos deux monstres.

Nous remercions Nils Hoffet et Pierre Olivier pour leur amabilité et la disponibilité dont ils ont fait preuve pour répondre à nos questions le 20 juillet 2015 et le 10 août 2015. Plus globalement, nous remercions toute l’équipe de TF1 Vidéo / TF1 DA pour les efforts dont elle a preuve pour organiser ces entretiens.

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