Carlotta Films : entretien avec l’éditeur

Cela fait plus de 15 ans que Carlotta travaille dans le cinéma de patrimoine en vidéo (mais aussi en salles) en France. Au fil du temps, l’éditeur s’est imposé comme un poids lourd d’un certain savoir-faire tant éditorial que technique à travers de nombreuses éditions prestigieuses autour de Yasujiro Ozu, Kiju Yoshida, Douglas Sirk, Friedrich Wilhelm Murnau et bien d’autres encore.

Nous avons demandé à Fabien Braule, chef de projet édition vidéo chez Carlotta, quel était le bilan des années passées pour l’éditeur, les challenges actuels, la vision du marché à venir…

Bilan, organisation et identité éditoriale

  • Bilan : Cela fait 15 ans que vous travaillez dans l’édition vidéo. Qu’a changé dans votre travail par rapport à cette époque ? A quelles évolutions avez-vous du faire face et comment les avez-vous approchées ?

Les bases du travail n’ont pas vraiment changé. Le travail éditorial reste le même qu’il y a 15 ans avec toujours la même envie de faire découvrir ou redécouvrir des films de tous horizons, restaurés et accompagnés de suppléments éclairants, d’archives rares et pertinentes.

Ce qui a changé par contre, c’est la démocratisation des restaurations HD, 2K ou 4K. Aujourd’hui, nous arrivons à obtenir de nos ayants-droits du matériel restauré, ce qui, croyez-moi, n’était pas le cas il y a encore 3 ou 4 ans ! Cet accès aux nouvelles restaurations est un point important pour les éditeurs indépendants, car il nous permet de ne pas avoir à contribuer financièrement (sauf rares exceptions) au processus de restauration. Aussi, la dématérialisation (qui existe également en amont de la chaîne de production : on reçoit aujourd’hui un film non plus sur support physique mais plutôt en fichier) et la cohabitation du double support DVD et Blu Ray sont autant d’éléments qui font changer et évoluer notre façon de travailler.

  • Projet : Quelle est la taille de l’équipe pour un projet typique d’édition vidéo (par exemple, sur Cow-boy) ? Comment se déroule un projet d’édition : vous contactez les ayant droits pour sécuriser l’exploitation du film, puis cherchez le matériel, etc ?

Cow-boy est un bon exemple. Il y a de nombreux intervenants directs ou indirects. En interne, nous sommes 12 et sur ces 12 personnes, 4 travaillent réellement sur l’édition en tant que telle : Vincent-Paul-Boncour, directeur de Carlotta Films bien entendu, mais aussi Céline Cléris et Muriel Cousin. Cela regroupe déjà les étapes de marketing et de pré-production. Viennent ensuite les argumentaires pour notre diffuseur SPHE et la rédaction des textes pour la/les jaquette(s), le(s) chapitrage(s), la relecture assidue des sous-titres du film et des suppléments (sans doute l’étape la plus chronophage). Enfin, on arrive sur l’établissement du « chemin de fer » de l’édition (une manière plus simple de créer l’arborescence du disque), la validation des encodages DVD et BD (que l’on peut refaire 3 ou 4 fois comme cela a été le cas sur Cow-boy), suivi de l’élaboration des menus, validation des éléments contractuels auprès de l’ayant-droit, validation des authorings et QC…

Ensuite, vous avez les « prestataires » (je n’aime pas particulièrement ce mot), je dirai donc plutôt nos « partenaires » avec qui nous travaillons à l’année : studio d’encodage et d’authoring, labo de sous-titrage, infographiste, graphistes, réalisateur/monteur pour les entretiens… Notre envie, c’est de travailler au maximum avec les mêmes personnes. Il y a la confiance et l’habitude de travail bien sûr, mais aussi une continuité et une cohérence éditoriale qui s’installe. Pour ce qui est des droits, nous travaillons avec (presque) tout le monde. Les ayants-droits nous approchent ou nous les approchons, c’est selon. Pour le cas de Cow-boy, Vincent a réussi après de très longs mois à obtenir un contrat sur 10 titres avec Sony Pictures Entertainment. C’est souvent un travail de longue haleine lorsque vous voulez commencer à travailler avec un ayant-droit, surtout lorsqu’il s’agit d’une major ! Mais le deal est fait, et nous sommes surexcités à l’idée de travailler sur les 10 films en question !

  • Quelle est la durée typique d’un projet ? A combien de mois se situe votre visibilité sur votre planning ?

Nous travaillons sur une période de 4 à 6 mois environ de la réception du matériel à la mise en stock des DVD et BD définitifs. Mais il n’est pas rare que les entretiens, les suppléments soient évoqués, discutés et réalisés bien en amont. C’est la partie qui va demander le plus de temps, car il faut anticiper tout un tas de choses : la disponibilité des intervenants, les voyages, les phases de montage, etc. C’est pour ça que nous travaillons dans la mesure du possible à 1 an. Il y a toujours des changements, des rajouts, des substitutions etc, mais pour pouvoir anticiper un maximum de choses et éviter un maximum de problèmes, c’est la durée qui nous paraît la plus confortable.

  • Quelles ont été les bonnes et mauvaises surprises les années passées ?

Les bonnes surprises, ce sont La Porte du paradis bien entendu, mais aussi Blow Out, Pulsions et Furie (dans une moindre mesure). Les 2 films de Richard Fleischer : Les Inconnus dans la ville et L’Étrangleur de Boston ! Sans oublier le coffret Ozu, une valeur sûre ! Les déceptions sont là également, comme le coffret Alain Robbe-Grillet pour lequel nous avions fait un travail considérable, Sidewalk Stories pour lequel nous avions financé la restauration 2K, produit l’intégralité des suppléments (commentaire audio inclus) et financé le scan du court-métrage de Charles Lane ou encore La Valse des pantins. Lorsqu’un film de Martin Scorsese issu d’une superbe restauration 4K avec son lot de suppléments ne fonctionne pas, vous pouvez vous poser de vraies questions sur l’état du marché !

  • Catalogue : Il y a un grand éclectisme chez Carlotta, où on croise à la fois du Welles, du De Palma et du Murnau. Comment choisissez-vous les titres que vous allez chasser en terme de droits d’exploitation vidéo ?

Les acquisitions et l’éclectisme, c’est Vincent ! C’est à lui que revient cette diversité. Et même si on fait le forcing pour certains titres (Borzage, De Palma ou Panic sur Florida Beach), la décision finale lui appartient. Nous sommes une structure indépendante, et donc libre de nos choix. Nous avons de nombreuses propositions, faisons des recherches, insistons pour que tel ou tel film puisse être disponible. Parfois ça paie !

  • A quels catalogues avez-vous facilement accès ? Difficilement accès ?

Les catalogues de majors sont sans doute les plus « faciles » d’accès aujourd’hui, du moins en ce qui concerne Fox, Universal et MGM. On ne parlera pas de Paramount, c’est à ce jour encore presque « mission : impossible »…

  • Identité du produit : Face à la fragilité actuelle du marché physique, certains comme Wild Side s’orientent vers des éditions premium (BR + DVD + livret épais), tandis que les éditeurs UK comme Arrow et BFI s’engouffrent dans les éditions limitées afin de stimuler les ventes dès la sortie (voire dès la précommande). Ce n’est pas le cas de Carlotta (hormis quelques cas spécifiques comme La porte du paradis). Est-ce une orientation produit qui vous parait intéressante et valorisante au niveau du retour sur ventes ? De nombreux éditeurs (notamment anglo-saxons) ont fait le pari de l’inclusion systématique d’un livret. Ce n’est pas le cas en France, y compris pour Carlotta. Pourquoi ce choix ?

C’est une question de coûts et surtout de temps humain. Nous avons plutôt fait le choix de proposer un maximum de nos titres en Blu Ray. Y ajouter un livret systématiquement nous obligerait à revoir nos politiques éditoriale et tarifaire et à diminuer le nombre de sorties annuelles… ou à augmenter notre équipe. Tout ceci est impossible économiquement. Nous préférons donc inclure un ou des livrets lorsque nous proposons des objets d’exception comme le coffret de La Porte du paradis ou le coffret Alain Robbe-Grillet dernièrement. Cette année (2015), nous proposerons un livre de 100 pages assez conséquent dans le coffret Out1. Ce coffret (disponible en combo 6 Blu Rays et 7 DVD) s’inscrira comme un objet haut de gamme comme nous aimons le faire et le proposer dès que cela est possible.

Nous avons proposé à une période des livrets dédiés et limités aux éditions Fnac. Le retour était positif, mais nous nous sommes très vite aperçus que tout ceci n’était pas vraiment rentable.

J’ignore comment Arrow et MoC parviennent à éditer leurs livrets. MoC fait le choix du livret et ne propose que très rarement des suppléments vidéo. C’est une approche éditoriale que je trouve intéressante, mais je ne suis pas persuadé qu’elle plaise au plus grand nombre en France. Quant à Arrow, leur modèle économique est assez surprenant ! Et il m’intrigue d’ailleurs au plus haut point.

  • Bonus : Quelle est votre approche au niveau des bonus ? Comment choisissez-vous quel type de bonus produire (plutôt rétrospectif, plutôt analytique) ainsi que leur quantité (tel film avec beaucoup de bonus, tel autre avec presque rien) ?

La réflexion se fait essentiellement en interne. Nous établissons une « wish list » qui regroupe tout à la fois : des acteurs, réalisateurs, chefs opérateurs, historiens, universitaires, etc. A cela s’ajoute la complexité des possibilités et disponibilités de chacun ainsi que l’enveloppe budgétaire dont nous disposons. Bien entendu, plus le film semble avoir un réel potentiel, plus nous nous permettons de concevoir et/ou de commander de suppléments.

  • Comment les concevez-vous de manière pratique ? Je suppose que tout ceci a un coût (financier et humain) de conception. Quelle part du budget projet cela représente-il ?

Nous travaillons aujourd’hui avec Allerton Films (structure historique dans la réalisation de nos suppléments) et avec Fiction Factory en la personne de Robert Fischer. Si Allerton se concentre essentiellement sur les suppléments franco-français et italiens, Robert, par ses multiples déplacements annuels, nous permet de nous diversifier et de proposer des entretiens tournés aux Etats-Unis. Nous aimons cette double approche car elle permet de proposer à la fois des analyses souvent soutenues et des entretiens plus « simples ». Pour en revenir à la « facilité » de produire beaucoup de suppléments sur des films à fort potentiel, ce n’est pas toujours le cas. Nous sommes assez incontrôlables par moment ! Si je reviens sur Sidewalk Stories, par exemple, nous avons produit le commentaire audio à New York, l’entretien de Charles Lane et de Marc Marder, avons fait scanner le premier court-métrage de Charles Lane et avons fait sous-titrer tout cela en français. C’est un coût très important et une part colossale du budget (près de 40% si on ne compte pas la restauration 2K du film). Encore une fois, nous avons notre indépendance même si dans ce cas précis, vu les faibles ventes sur ce titre, c’était de la pure folie. Mais c’était une superbe aventure pour laquelle nous n’avons aucun regret.

Choix techniques et zonage

  • Choix techniques : Comment gérez-vous la qualité des masters HD que vous recevez ? Avez-vous la possibilité d’en rejeter s’ils ne vous conviennent pas ? On se souvient notamment du master de Contre-enquête, fourni par la FOX, qui n’était clairement pas tiré d’une restauration récente.

Les masters sont la plupart du temps mis à disposition par nos ayants-droit. Les masters HD ou fichiers Prores HQ que nous recevons sont vérifiés en labo puis, si celui-ci pose de petits problèmes, par mes soins. Nous évaluons avec le labo les travaux nécessaires pour l’améliorer. Si celui-ci est de trop mauvaise qualité, nous le rejetons et demandons à ce qu’un meilleur matériel nous soit livré. Mais ça, c’est la théorie… Dans la pratique ça n’arrive presque jamais… C’est ce qui est arrivé pour le master de Contre-enquête que vous pointez du doigt : le master nous a été livré par la Fox mais il n’était clairement pas de toute première jeunesse. Il ne faut pas se tromper : la HD ne date pas d’hier et les studios travaillent sur support HD (D5 puis HDCAM-SR) depuis près de 15 ans ! Inutile de vous dire l’écart qualitatif entre un master de 2000 et un de 2015… c’est un peu comme si vous passiez de la VHS au DVD. Et même si j’exagère en le disant comme ça, il n’y a qu’à voir le travail effectué par Arrow sur The ‘Burbs et le comparer au master délivré par Universal pour l’Allemagne pour comprendre ce fossé ! Pour Contre-enquête, il s’agissait du seul master HD disponible. Et là, vous avez deux options : soit vous refusez le matériel et vous faites une croix sur la disponibilité dudit film sur un territoire donné, soit vous considérez que faute de mieux, c’est passable après quelques travaux et améliorations et vous le sortez. C’est cette seconde option que nous avons choisi. Avons-nous eu raison ? Je ne sais pas. Mais sauf erreur, le film n’est disponible nulle part ailleurs en Blu Ray.

  • De nombreux films sont édités en Blu Ray en France encodés à la mauvaise vitesse (1080i50, soit 25 ips), ce qui est un souci très franco-français. Carlotta encode systématiquement ses Blu Rays en 1080p24 (sauf films tournés pour du 25 ips) et avec des pistes sons lossless. Qu’est-ce que cela implique en terme de gestion de projet ? De budget ?

Nous avons fait le choix dès 2008 de respecter le 24p quand cela était possible et avons décidé de conserver la vitesse initiale du film à 50i lorsqu’il s’agissait d’un film destiné en premier lieu à la télévision. Il y a eu une exception faite pour Baal à la demande de Volker Schlöndorff qui souhaitait que le 24p soit conservé car le scan et la restauration ont été effectués à cette vitesse.

En termes de gestion de projet et de budget, ça ne change pas grand-chose, tout est une question d’envie et de rigueur. Le même master HD 23.98p ou 24p peut être exploité à 50i pour du DVD. Il faut alors « recadencer » les sous-titres à la bonne vitesse et procéder à une harmonisation des pistes sonores si vous souhaitez conserver la tonalité d’origine. Cette opération a un coût mais elle n’est pas non plus toujours nécessaire, tout dépend de la bande son, de sa musicalité et de son mixage.

  • Contrats et positionnement mondial : Carlotta a produit quelques exclusivités que d’autres pays nous envient (Matinee de Joe Dante et les 3 Borzage, notamment). Quelle est la part de l’import dans vos ventes ? Quelle est votre vision vis-à-vis du zonage et des sous-titres forcés, souvent des impératifs contractuels perçus par certains consommateurs comme un ultra-cloisonnement du marché qui devient difficilement compréhensible ?

Nous ne savons pas vraiment ce que représente la part à l’exportation mais je pense qu’elle doit être marginale car, dans l’esprit des gens, les jaquettes et les menus en français sont un frein. C’est d’ailleurs l’un des facteurs pour lesquels nous vendons moins à l’étranger (et aux USA par exemple) qu’Arrow ou MoC, la caution « English friendly » faisant la différence chez les éditeurs anglo-saxons. Mais si l’on se réfère aux mandats, nous ne pouvons de toute façon pas promouvoir nos titres à l’étranger et les zones/régions sont là pour ça. L’ultra-cloisonnement comme vous l’appelez est aussi là pour limiter ce libre échange. Il ne faut pas oublier l’investissement et l’enjeu que représente l’édition d’un DVD ou d’un Blu Ray pour un éditeur indépendant sur un territoire donné. Si nous éditions le même titre au même moment qu’un autre éditeur, nous n’aurions pas envie de voir des ventes majoritaires avec le « produit concurrent ». C’est donc une donnée qui peut semblée rébarbative pour le consommateur, mais c’est aussi une sécurité pour l’éditeur et l’ayant-droit qui doit valoriser ses droits en fonction du territoire et de son potentiel.

Collaborations, communication, ventes et avenir

  • Arrow : Vous semblez avoir une relation plutôt fructueuse avec vos collègues anglais de Arrow. Comment se passent ce type de relations ? Etes-vous en contact dès la recherche du matériel, ou plus tard lorsque vous apprenez que quelque chose est en train de se préparer ?

Francesco Simeoni et moi-même conversons régulièrement sur nos prochains projets. Lorsque cela se présente, que le titre a le potentiel espéré et que l’on a l’autorisation du studio pour le faire, on y va. Nous travaillons de manière intelligente avec Arrow, c’est une relation très saine, avec un partage de frais équitable et un partage des tâches en fonction du savoir-faire de chacun. Quand vous lancez des restaurations coûteuses de Furie ou des Tueurs avec eux, et que James White est dans la boucle, forcément, vous leur faites confiance sur le scan, la restauration etc. Mais même si cela se voit moins du côté du consommateur, nous avons aussi de très bons rapports avec Masters of Cinema. Je crois que l’envie de collaborer et de partager les frais est typiquement européenne.

  • Faut-il espérer de futures collaborations ?

De futures collaborations, je ne sais pas car le marché est tellement compliqué et les frais engagés tellement élevés qu’il est de plus en plus compliqué de valider ce type de collaboration et de restauration. On le fait pour le film et par amour pour le film. Il ne faut pas oublier que la plupart du temps, nous faisons le travail d’un ayant-droit ou d’un studio et nous n’avons certainement pas les mêmes moyens ! L’un de nos prochains titres sera produit selon un partage de frais équitable avec Arrow et les encodages effectués par David Mackenzie… Mais je ne peux pas vous communiquer le titre, Arrow ne l’ayant pas encore annoncé.

  • Médias et consommateurs : A l’ère de l’internet 3.0, certains éditeurs ont une présence de plus en plus accrue sur les réseaux sociaux (Facebook et Twitter, principalement) mais certains ont aussi et surtout une présence directe sur certains forums spécialisés (Arrow et Masters of Cinema sur blu-ray.com, mais aussi Gaumont sur DVD Classik). Ce n’est pourtant pas le cas d’une majorité d’éditeurs. Considérez-vous important d’avoir cette présence là ? Par quel biais prenez-vous en compte les retours consommateur qui peuvent y être faits ?

La communication sur Internet et les réseaux sociaux est capitale. Nous développons de plus en plus notre communication sur Facebook, Twitter et Instagram. Si vous ne parlez pas de vous au plus grand nombre, si vous ne donnez pas l’envie de posséder tel ou tel DVD ou Blu Ray, vous êtes foutu. Criterion est très agressif de ce côté-là et ils l’ont compris depuis bien longtemps. Pour ce qui est des forums, je suis cela de près et interviens régulièrement sur DVDClassik. Je lis les commentaires avec attention, et prends en compte les remarques, même si elles sont malheureusement bien trop souvent négatives et pas toujours justifiées… Il m’arrive aussi de ne pas être d’accord et de le faire savoir, cela fait aussi partie du jeu.

  • Ventes : Quelles sont vos meilleures et plus mauvaises ventes ? Quel est le nombre d’exemplaires typiquement vendus pour un titre Carlotta, en DVD et en Blu Ray ? Quel est votre objectif typique afin de revenir à l’équilibre budgétaire ? Est-ce souvent atteint ?

Nous meilleures ventes restent encore à ce jour Salo et L’Aurore. Le nombre d’exemplaires vendus varie vraiment en fonction du titre. Par exemple, entre La Valse des pantins et de La Porte du paradis, on sera dans un rapport d’1 à 20 !

  • Comment l’évolution actuelle du marché physique a impacté vos ventes ?

Avec la crise et la chute du marché de la vidéo, les quantités pressées et mises en place fondent comme neige au soleil, d’où l’importance pour les éditeurs de se mobiliser et de faire du bon travail. Ca ne paie pas toujours mais on ne peut que se féliciter quand c’est le cas.

  • Passion et envie : Quel a été votre projet préféré ?

J’en ai plusieurs.

L’Argent, tout d’abord, car je trouve que tous les différents éléments sont en parfaite symbiose avec le film : la conception des menus, du packaging (lenticulaire), du contenu éditorial, la musique de Jean-François Zygel…  C’est parfois compliqué de donner une identité commune à l’ensemble d’une édition mais je crois que L’Argent en est le meilleur exemple.

Il y a aussi Panic sur Florida Beach pour lequel je crois que nous sommes encore à l’heure actuelle les seuls à l’avoir édité en Blu Ray et DVD collector. Il y avait sur ce projet la relation parfaite avec Joe Dante, l’accès à la version complète de Mant! que nous avons numérisé, étalonné et restauré à nos frais, l’entretien fleuve dirigé par le regretté Michael Henry Wilson avec qui nous entamions une belle mais malheureusement trop courte collaboration…

Et puis, bien entendu, il y a La Porte du paradis. C’est une édition très particulière pour plein de raisons personnelles, notamment la rencontre avec Joann Carelli et Michael Cimino, pour une collaboration là aussi exemplaire et intelligente. C’était pourtant une édition quasi « mission : impossible » car tout s’est décidé et fait en seulement 8 mois. C’est assez court, si l’on prend en considération les autres éditions à faire en parallèle mais quel résultat ! Cela reste une expérience inoubliable.

Il y en a beaucoup d’autres, même si elles remontent à quelques années maintenant : les coffrets Douglas Sirk, Assurance sur la mort, Les Tueurs, Blow Out, Pulsions, Mean Streets, City Girl

Actuellement je travaille en collaboration avec Sandrine Veysset sur son premier film : Y’aura-t-il de la neige à Noël ? Nous avons fait la restauration 4K en partenariat avec Digimage Classics et le soutien du CNC et sommes en train de travailler sur les éditions DVD et BD. C’est une très belle rencontre, qui, je l’espère, aboutira à une toute aussi belle édition.

  • Quel est celui que vous rêveriez de faire ?

S’il y a un film sur lequel j’aimerais travailler, c’est probablement L’opération diabolique de John Frankenheimer. Le film est un vrai choc plastique (photo, musique) et Rock Hudson y est parfait.

Pour tout vous dire, il y a 3 cinéastes sur lesquels j’aimerais travailler : Frankenheimer, Pakula et Mulligan, soit trois cinéastes américains. Cela vient probablement de ma formation (une Maîtrise en Etudes cinématographiques à l’Université Paris VII) et de mon goût et attachement pour ce cinéma. En tout cas, il n’existe pas assez d’éditions en France de leurs films et pourtant, à eux trois, il doit y avoir une quinzaine de grands films voire de chefs-d’œuvre ! C’est très frustrant à constater.

  • Vision du marché : Quelle est votre vision du marché physique actuel ? Voyez-vous les doubles sorties DVD / Blu Ray disparaître un jour (lorsque le matériel HD est disponible) ? Quel est aujourd’hui la principale limite empêchant d’éditer tout en Blu Ray, que en Blu Ray, si le matériel le permet ?

Celle d’un marché en constante régression et d’un produit qui n’a plus assez de valeur aux yeux du grand public… Je ne pense pas que les doubles sorties vont disparaître, malheureusement. Je serais le premier ravi de pouvoir me concentrer uniquement sur le Blu Ray mais on est loin du compte. Il n’y a pas de limite aujourd’hui à tout sortir en Blu Ray techniquement mais financièrement, c’est une autre histoire. Lorsque nous faisons le choix de ne sortir Autour du monde avec Orson Welles qu’en double DVD et non en Blu Ray, ce n’est n’est pas par désintérêt pour le titre ou le support Blu Ray, mais par obligation financière. Produire un Blu Ray reste à ce jour environ 2,5x plus cher que de produire un DVD et même si nous soutenons le Blu Ray depuis 2008, même si 90% de nos sorties annuelles sont en double support, parfois, il faut savoir être raisonnable. C’est ce qui s’est passé pour le coffret Oshima. Certains nous ont reproché de ne pas tout éditer en Blu Ray mais le fait est que nous aurions été ravis de le faire, et c’était même notre idée de départ. Mais lorsque nous avons reçu les masters HD et que nous nous sommes aperçus que les 8 longs-métrages étaient à restaurer, nous avons dû revoir notre position. Mais les 3 films disponibles en HD sont à mon sens les 3 plus importants du coffret.

  • Impact QOL ? : Il y a eu récemment toute une vague de pressages provenant de l’usine QOL qui se sont avérés instables dans le temps. Cela a-t’il eu un impact sur vos ventes (je suppose ici que cet impact a peut-être refroidi certains consommateurs qui ont eu peur de se retrouver dans 5 ans avec de nouveaux disques illisibles, quand bien même ce n’est pas votre prestataire) ?

Nous n’avons jamais travaillé avec QOL. Nous ne nous sentons donc absolument pas concernés par le problème… en espérant cependant qu’il ne surgisse pas chez nos presseurs.

  • Ce questionnaire ne serait évidemment pas complet sans la question à 1 million : la sortie de Out 1 a été annoncée, et celles de Touch of Zen et Dragon Inn ont plus ou moins été officialisées, mais pouvez-vous nous communiquer quelques indices sur les autres futures sorties de 2015-2016 ? On croise notamment les doigts pour une date officielle de Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon…

Le planning du dernier trimestre sera très chargé et varié. Nous aurons la chance de pouvoir éditer Le Cousin Jules de Dominique Benicheti le 21 octobre. Ce film, d’une beauté plastique exceptionnelle et restauré en 2K, sera édité en Blu Ray et DVD avec un entretien de son célèbre chef opérateur Pierre-William Glenn dont le premier long-métrage. D’autres suppléments seront de la partie, comme des rushes du tournage, véritables images d’archives inédites retrouvées dans les archives du film détenues par Cédric Thomas. Il y aura aussi un module sur la restauration du film, amorcée en 2008 avec feu Dominique Benicheti.

C’est le 18 novembre qu’arrivera dans les bacs notre « gros » bébé de fin d’année, qui est un véritable enjeu éditorial pour Carlotta Films : Out1. A l’heure où je vous parle, seuls 3 épisodes sont restaurés sur les 8 (+ Spectre) ! Autant vous dire que c’est aussi un pari sur le temps ! Le coffret sera limité et au double format Blu Ray et DVD. Il se composera de 6 Blu Rays et de 7 DVDs. Chaque disque contiendra 2 épisodes, avec la version cinéma Spectre sur 1 Blu Ray et 2 DVDs. Le dernier disque sera dédié à un documentaire fleuve de 90 minutes en cours de production grâce à notre collaborateur Robert Fischer. Viendront s’ajouter à cela un livret d’une centaine de pages contenant des photos inédites de Pierre Zucca, des archives et un essai de Jonathan Rosenbaum composé spécialement pour cette édition. Le coffret sera également disponible aux Etats-Unis sous la bannière de Carlotta Films US. Le scan a été réalisé à 6K sur Arriscan et réduit à 2K pour étalonnage et restauration. 

Le 25 novembre, ce sera au tour d’Ang Lee de recevoir les honneurs d’éditions collector Blu Ray et DVD de ses premiers films : Garçon d’honneur et Salé sucré. Là encore, notre choix s’est orienté vers de nombreux suppléments dont des entretiens exclusifs avec Ang Lee. Ce seront de très belles éditions dotées de masters HD entièrement restaurés.

Enfin, début décembre, nous éditerons en parallèle de la sortie salles Y’aura t’il de la neige à Noël ?, le magnifique film de Sandrine Veysset, et Body Double de Brian De Palma !

Body Double est l’un de nos films cultes chez Carlotta et nous sommes très fiers de pouvoir enfin l’éditer. Là encore, et comme pour Blow Out, Pulsions ou Furie, nous allons proposer de nombreux suppléments. La liste n’est pas encore définitive, vous aurez la surprise de découvrir tout cela un peu plus tard dans l’année, car l’édition pourrait être bien plus imposante et « collector » que prévu. Ce qui est certain pour le moment, c’est que nous partirons d’une restauration 4K opérée par Sony (une merveille !), remix 5.1 et stéréo d’origine pour la VO, VF mono d’origine encodée en DTS-HD MA. Bref, nous proposerons le top du top !

L’année 2016 sera riche en évènements avec les sorties des deux films de King Hu, Dragon Inn et A Touch of Zen, pour lesquels nous allons produire des suppléments exclusifs au marché français. Il y aura aussi Le Prince de Hombourg de Marco Bellocchio ou encore L’Année du Dragon de Michael Cimino.

J’ignore encore si The Burbs sera de la partie (mais je l’espère) ni même Enquête sur un citoyen… Tout ceci est possible, mais face à un marché en plein déclin et des frais incompressibles, il nous faut trouver des solutions pour rendre ces titres accessibles au plus grands nombres et viables économiquement. Cette réflexion éditoriale nous concerne au plus haut point, et de belles choses se présenteront pour 2016, car il y a toujours des solutions, nous pouvons vous l’assurer !

Nous remercions Fabien Braule pour son amabilité et pour la disponibilité dont il a fait preuve le 16 juillet 2015 pour répondre à nos questions, ainsi que pour nous avoir fourni l’iconographie servant à illustrer cet entretien.

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